Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
de ses péchés, par le feu salvateur. Je ne sais pourquoi, mais la malédiction prend fin avec moi. Altus, ou César Ravier si vous préférez, m’avait réservé, avant de mourir, un testament. Vous le savez peut-être, cet homme était le plus grand astrologue de notre temps. Mais plus encore, il avait des rêves et des visions. Cette histoire que je viens de vous raconter, elle lui était apparue, il y a des années. Il l’avait couchée sur le papier. Cet homme double et discret garda pour lui ce secret, avant de me l’offrir d’outre-tombe. J’ai pris connaissance du document cet après-midi même. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela. J’ai commis des crimes, j’ai fait le mal, mais aujourd’hui, je comprends des choses qui m’échappaient et je me sens délivrée. Délivrée d’un puissant fardeau. Je crois, voyez-vous, que je pourrais mourir à l’instant même, le cœur en paix… je suis prête. »
Don Juan de Tolède se sent vaciller. Il se maîtrise, et tâche de ne rien laisser paraître de ce qui le bouleverse.
— Et votre défunt compagnon aurait vu tout cela. Quoi ? rien qu’en vous regardant, en vous prenant la main, dans ses cauchemars ?
— Il le vit, un point c’est tout. On peut en rire, émettre des doutes, mais ces révélations m’ont frappée de plein fouet. Elles ont mis en lumière tout un passé. Si l’on peut s’agenouiller sanshonte au pied d’un crucifix de bois, d’une statue, prier dans le murmure en s’imaginant être entendu par un Être invisible, dominant toute chose sur un trône en plein ciel, ne peut-on pas croire aux illuminations d’un savant ? Faut-il, parce qu’il voit à travers les frontières du temps et de l’espace, dans un livre vivant, le traiter de fou ?
— Ou de diable incarné.
Et la délivrance
— Tous les prophètes qui ont annoncé ces vérités aujourd’hui reconnues, mais alors condamnées par l’Église, au nom de Dieu, ont été, de leur vivant, accusés de pactiser avec le démon. Altus n’était pas un saint, loin s’en faut. Son don de voyance, en l’isolant du commun des mortels, fit son élévation et son désespoir. Car il était… profondément seul.
— Vous l’admirez encore, pourtant, vous ne semblez pas le regretter.
— Il me protégeait, il m’avertissait, mais il me trompait… il m’étouffait. Il m’aimait… à sa manière. S’il m’a révélé des vérités cachées, il m’a aussi menti, à plusieurs reprises, il me manipulait. Ainsi, il me fit croire que l’un de mes amants me tuerait un jour. Il voulait peut-être me faire partager le tourment de sa solitude, me rendre pareil à lui. Il me fit également croire, voilà quelques semaines, que j’avais été empoisonnée… que le poison frapperait sans prévenir, que mes jours étaient comptés. J’avais reçu une lettre, écrite par la main de mon assassin, m’avertissant de ce qui m’attendait. Évidemment, cette lettre n’était pas signée. Sur son lit de mort, César m’avoua l’avoir rédigée pour me mettre au supplice, en espérant surtout que je me tournerais vers lui, que je finirais par accueillir, en désespoir de cause, son cœur débordant de flamme. Oui, il se fit repentant à la dernière minute, me suppliant de lui pardonner, et pourtant, quelques heures plus tôt, comme il me l’avoua d’une voix étranglée, le sang sur la bouche, une lettre venait de partir… sa dernière lettre, celle d’un homme fou de jalousie. Elle était destinée à monsieur de Villefranche, le protecteur d’Hercule, Hercule qui est mon amant, je crois ne rien vous apprendre. En quelques mots convaincants, il incitait le gentilhomme à prendre les armes et à venir me terrasser. J’ai toutde suite compris, en vous voyant arriver, à la démarche que vous adoptiez, que vous veniez le remplacer. Il est vrai qu’il faut avoir un bras de fer pour assassiner une femme de sang-froid.
Sous la table, la main assassine se détache de la poignée de la dague… Une main moite. Don Juan doit faire ses adieux, il se lève, mais Desdémone lui tend un verre, et lui dit :
— Buvez.
— Merci, mais je n’ai plus soif. Je dois vous quitter, je suis attendu.
— Soyez sans crainte, ce n’est pas la mort, mais la vie que je vous offre… En début de repas, vous avez bu un poison… Ceci est l’antidote.
Don Juan regarde la coupe. C’est peut-être maintenant , se dit-il, qu’elle me tend le venin . Mais soit, l’un
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