Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
laisse-t-elle échapper.
— Mais je suis là, ma toute belle, et bien à vous, lui dis-je.
— Il y a le plaisir et les affaires… Je cherchais à m’acheter les truchements d’une fine lame, mais j’y songe, vous devez certainement connaître l’individu et peut-être m’aideriez-vous à l’approcher…
— Si c’est une lame qu’il vous faut, la mienne ne demande qu’à vous servir.
Ce disant, puisque nous glissons sur un terrain tout professionnel, je me délace de ma cape, et j’en couvre les épaules (charmantes épaules) de mon interlocutrice.
— La situation est bien particulière. L’homme ne le sait pas encore, mais il doit se battre demain, contre un gentilhomme qui viendra lui jeter son gant. Je voulais simplement m’assurer, par finances interposées, qu’il fera tout pour emporter l’assaut et le conclure par la mort de son adversaire.
— Il m’arrive en effet, de lier commerce avec quelques bretteurs peu fréquentables, dites-moi le nom de votre homme.
— Don Juan de Tolède, cela vous dit-il quelque chose ?
Je feins la surprise.
— Diable ! Nous nous connaissons même intimement, je n’ai aucune honte à l’avouer, cet homme et moi faisons la paire, comme des frères mineurs.
Je retire mon masque, et révélant mon visage, je fais pic et capot, en portant ma touche : Je suis don Juan de Tolède .
— Par exemple ! En voilà une surprise. Toujours la Providence !
— En somme, je ne pouvais pas mieux tomber.
Je continue de jouer ma comédie, variant les émotions selon les besoins, gardant la note.
— Et comment se nomme cet homme que j’ai offensé sans le savoir ?
— Edmond de Villefranche.
Edwige me raconte ce que je ne sais que trop. Elle me parle d’un certain Tancrède de Gaillusac, sans me révéler ses sources, il faut garder du mystère, séduction oblige. À mon tour de faire tomber le masque :
— Figurez-vous que je vais l’affronter pour la deuxième fois. Il y a trois jours, nous avons rompu quelques lances, mais l’affaire avorta, et nous nous serrâmes la main. Il faudra me payer cher, le blesser m’aurait suffi. Sans compter que la loi pourrait m’en tenir rigueur. Si vous venez d’apprendre les raisons de ce différend qui nous oppose, par un mort interposé, d’autres le sauront, et l’on voudra me pendre.
— Loin de moi l’idée de chercher à vous mettre la corde au cou, vous serez assez riche pour vous enfuir et recommencer ailleurs l’une de ces vies de plaisirs et de dangers, comme vous semblez les rechercher.
— C’est bien, dis-je, nous pouvons convenir d’un arrangement.
— Vous avez déjà reçu un premier versement pour encouragement, me dit-elle en faisant référence à cette cassette que j’ai transvasée dans ma bourse.
Je dois préciser :
— Ne mélangeons pas tout, ce que je vous ai pris, c’est le voleur, le mendiant, la bonne âme, qui vous l’a ôté par la force.
La belle Edwige de Bellerasse laisse tomber ma cape à ses pieds. Enfin, elle enlève ses derniers dessous, pour me dire :
— Ce trésor que vous sembliez convoiter pour vous seul, égoïstement, vous ne l’avez pas encore… accaparé. Ne vaut-il pas toutes les avances ?
Je m’approche de la louve, je respire son haleine et je pose une dernière question :
— Où pourrais-je vous trouver demain, pour toucher mon salaire ?
— Entrez donc en l’église Saint-Benoît par la rue des Mathurins. Présentez-vous sous le nom de Gaspard Montlouis . Demandez le père Antoine, il vous remettra de ma part un dépôt, enfermé dans un reliquaire.
— Je vous fais confiance. Du reste, en cas de déception, un homme comme moi saura toujours retrouver une jolie fille comme vous.
Je m’écarte légèrement.
— Votre avance s’impatiente. Venez, me dit-elle en prenant ma main.
Je me penche vers la victime consentante, vers ses jambes. J’embrasse sa cuisse, mes baisers descendent jusqu’à sa cheville, mais là, d’un geste vif, j’abandonne l’ivoire pour la laine… Ce qui se donne pour ce qui est à moi, je reprends ma cape, j’ouvrela portière, je sors, non sans laisser entrer un petit air vif, qui fait frissonner l’intrigante dans son vêtement de chair. Je m’explique, en replaçant mon masque sur mon visage :
— Vous avez raison, ma belle, il y a les affaires et le plaisir. Vous m’avez détourné de l’un pour traiter l’autre. Je vous fais grâce de l’avance, le tout demain.
Edwige n’en croit pas ses yeux.
—
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