Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Mais…, commence-t-elle.
Je vais au-devant du carrosse, je détache un des chevaux, j’en fais mon nouveau compagnon de voyage et en repassant devant la fenêtre où Edwige de Bellerasse, abasourdie par tant d’insolence et de dédain, commence à prendre froid, je salue la garce en lâchant cette hypothèse, comme lot de consolation :
— Une autre fois, peut-être.”
Bilan
« Quelle nuit ! s’exclame d’Artagnan en s’adressant à son auditeur captivé. Que de péripéties et de retournements de situations ! À la diane, l’aventurier don Juan de Tolède va devoir affronter la rancune d’Edmond de Villefranche. Rien n’est stable en ce monde, la vie bouleverse nos certitudes. Elle donne et elle reprend. Tout n’est que branle et mouvement. À l’heure où la cohésion allait enfin s’établir, où notre trio va pouvoir œuvrer dans l’unité pour déjouer les intrigues et les cabales sur le pied de guerre, la fatalité s’en mêle. Quel autre nom lui donner ? C’est la foudre tombée du ciel, une lame frappant de dos. Une main invisible semble s’acharner à briser l’anneau de notre cercle fraternel.
Je veux m’interposer. Mais Amadéor m’en dissuade. Cette affaire est la mienne, je dois la régler seul , me dit-il. J’ai beau insister, don Juan de Tolède ne veut rien entendre. Je crains qu’il ne soit prêt à se sacrifier, je crains que ce risque-tout veuille profiter de l’occasion pour quitter la scène. Après avoir tant courtisé la mort, n’est-il pas résolu à forcer sa porte ? Ne veut-il pas devancer le cours du temps, prendre le destin de vitesse, montrer par un dernier geste, un salut digne d’un héros de roman, qu’il n’est le valet de personne, qu’il va où il veut, qu’il décide seul du jour, du lieu et de l’heure de l’échéance suprême, qu’il est, maître de sa vie, le plus libre des hommes ?
Certes, il me donne rendez-vous à la porte de Nesle pour les douze coups de midi.
— Êtes-vous prêt à quitter votre tour d’ivoire ? me demande-t-il.
— Monsieur, vais-je lui répondre, de bonne grâce ! Si j’ai plaisir à vous entendre, si je me sens retrouver les périls du dehors quand vous me les évoquez avec tant d’exactitude et de vérité, je me lasse, après votre départ, à compter les clous de ma porte.
— Fort bien, vous reviendrez plus tard vous blottir au gîte, vous enfermer dans votre isoloir, mais demain, nous devons être deux, une fois encore, côte à côte cette fois-ci, pour ne rien manquer de ce qu’il se dira sur cette place chargée de mémoire où se réuniront l’ambassade des Importants et le très redouté Hyppolite de Lanteaume, désormais chef de guerre, chef de bande, maître et seigneur d’une compagnie d’élite. Mais attention, d’Artagnan, profil bas et chapeau large : cachez votre face, vous nourrissez les vers, ne l’oubliez pas.
Oui, l’aventurier me donne rendez-vous, il compte sur ma présence… mais il sait ce que je ferais s’il ne venait pas, je reprendrais seul la suite des enquêtes et Son Éminence n’aura plus à son service pour mettre en échec ses ennemis qu’un duo d’espions revenus du pays où tout le monde va . Car si Amadéor songe peut-être à nous tirer sa révérence, à offrir sa poitrine à une pointe d’épée réclamant réparation, il ne laissera pas Edmond de Villefranche exposer sa tête aux représailles de nos ennemis. Je le connais suffisamment maintenant pour sentir qu’il a prévu d’offrir au protecteur d’Hercule un plan de sortie.
— Cette bourse, me dit don Juan de Tolède en s’apprêtant à me quitter, pèse trop lourd à ma gauche. Partageons. Le cardinal peut être content, avec cet argent frais que je fais remonter à la source, il n’aura pas à tirer davantage d’eau de son puits.
L’aventurier me cède donc une part de la donation fort habilement et très audacieusement reprise aux dévotes mains d’Edwige de Bellerasse et de monsieur l’abbé Grégoire de Ravigneaux. Cependant, je ne dis rien, mais j’ai l’œil. Et je vois bien que le sac ne revient pas au complet. Quelques pièces se seraient-elleségarées en chemin ? Je gage plutôt que mon compagnon d’armes n’a pas attendu de me retrouver pour en faire bon usage. »
— Sire, Votre Majesté, voyez qu’encore une fois je vous laisse découvrir des dessous qui ne sont point d’ordinaire découverts aux enfants de votre âge. En cela, je crois tenir ma promesse.
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