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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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yeux et l’on ne tarde pas à rétrécir l’avenue, au risque de contraindre le passage des coches et des carrosses. On rit à ventre déboutonné. Les ouvriers du port eux-mêmes ne peuvent s’empêcher de tourner la tête vers le centre de la place, quitte à ralentir la besogne.
    Sur ce lieu d’exécution où Ravaillac fut mis en pièces, où la sorcière Galigaï brûla vive, le comédien a dressé ses tréteaux de foire et son horizon : cette planche de bois résumant le monde en un seul trait. Hormis les acteurs, la scène est vide. Le décor fut dressé et taillé par les architectes d’autrefois : l’Hôtel de Ville siège à l’arrière-plan, en guise de toile de fond.
    Plutôt que de contourner la place de Grève, comme tout un chacun, je cède à la curiosité.
    Gardons-nous, Sire, de condamner cette faiblesse.
    En vérité, Majesté, la tentation peut être envoyée par Dieu au secours de l’homme. N’en déplaise à nos prêcheurs de sermons, le Diable n’en a pas l’usufruit.
    Nous ne tarderons pas à voir comme j’ai bien fait de me laisser divertir : en oubliant mon devoir, je continuais néanmoins de lui rester dévoué.
    Tout est paradoxe.
    Bien sot qui ne voit la vérité que d’un œil. Quand la pensée est borgne, la conscience est aveugle.
    Mais ne restons pas plus longtemps à l’écart, mêlons nos rires à ceux du public. Sur l’estrade, un jeune farceur se démène pour dix. Il est partout… et d’une drôlerie ! À se donner des talons dans le derrière. Dans son œil, mobile comme une roulette, courtune étincelle, celle de l’intelligence, car son comique est profond. Ses sourcils, d’un beau noir, ne sont jamais au repos : deux duellistes en bataille.
    Face à lui, sur la scène, une jeune femme n’ose encore accorder tout à fait ses faveurs. Elle minaude. »
     
    Le roi, lui aussi, ouvre grand les yeux.
    — Pourriez-vous me jouer la scène, chevalier ?
    — Je vais essayer.
     
    « — Vous me parlez gentiment, dit la jeune femme, mais je me méfie. Comprenez-vous… les hommes sont bien menteurs paraît-il. Ils ont beau dire qu’ils vous aiment, on voit bien assez tôt à quoi ils pensent.
    — Mais moi, répond le farceur, je ne pense pas, je ne pense plus. Mon cœur bat trop fort. Je suis pris, je me rends, prenez-moi… Je tombe à vos pieds.
    Et le comédien s’exécute.
    — Relevez-vous, monsieur, je ne suis pas la sainte Vierge.
    L’homme prend le public à part et dit :
    — Dieu merci !
    Puis, vers la femme :
    — Non, vous êtes un ange.
    — Flatteur ! C’est donc vrai, vous avez du sentiment ?
    — Ah, du sentiment, si vous saviez…
    Mais à l’instant où le baiser va s’échanger, une autre femme apparaît. L’homme la voit, se détourne, se glisse derrière son interlocutrice, retourne sa veste, et passe un masque au nez immense sur son visage.
    La seconde femme s’adresse à la première :
    — Dites-moi, mademoiselle, vous n’auriez pas vu passer un homme à la veste rouge ?
    — Veste rouge, dites-vous…
    À cet instant le comédien, toujours caché – bien mal – se redresse d’un trait et tend le bras à main gauche.
    — Là-bas ! dit-il avec vigueur. Dépêchez-vous, il marchait vite.
    — Merci, monsieur, dit la femme un peu méfiante et hésitante. Mais pourquoi ce masque ?
    — Ah, madame, c’est par pudeur, je cache ma laideur.
    L’autre femme revient devant et s’adresse à l’autre.
    — Mais cet homme, au juste, que vous cherchez, qui est-il ?
    — Mon mari.
    Et la femme s’en va.
    Le comédien se donne sans ménagement. Il est plein d’inventions, les numéros s’enchaînent à la diable, et l’on voit bien vite que tout Paris cherche après notre homme. Un usurier, ainsi, réclame le mauvais payeur. La drôlerie atteint son comble. Aussi naïf que les précédents, le prêteur questionne le farceur, toujours masqué, qui ne peut s’empêcher de nous amuser encore.
    — Il est vrai, dit-il, monsieur, que du haut de ma tribune, je vois passer bien du monde.
    — À la bonne heure, ces dix écus sont à vous si vous m’aidez à le retrouver.
    — Est-il beau garçon ?
    — Je crois.
    — Les cheveux bruns ?
    — En effet.
    — D’une bonne tournure, ma taille et ma silhouette ?
    — Il semblerait, oui.
    — Une veste rouge ?
    — C’est exact.
    — Un chapeau gris ?
    — Absolument ! C’est lui ! En tous points !
    Et le comédien tend la main. L’autre hésite, mais finit par payer.
    Une fois l’argent

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