Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
Vom Netzwerk:
empoché, le farceur finit par conclure :
    — Jamais vu.
    La foule est hilare.
    — Vous vous moquez !
    — Du tout. Depuis deux heures que je fais le guet sur ces planches, je ne vois passer devant moi que des individus tous contraires à ce modèle. Des blonds et des roux, des petits et des râblés !
    Un héros de roman tient tête à un grincheux personnage roulant carrosse
    Mais je dois tourner la tête. Derrière moi, à quelques pas, se joue une autre comédie.
    Venu du Pont-Neuf, un carrosse s’est engouffré à l’entrée de la place. Il est immobilisé par la foule. Au-devant de la voiture, trois cavaliers se chargent de lui dégager la route, ils font souffler leurs juments, ils donnent des ordres, montrent les éperons aux récalcitrants. Ils semblent prêts à lever l’épée s’il le faut, quitte à s’ouvrir un passage en taillant vaille que vaille dans ces buissons humains.
    Un cavalier rebelle refuse de se laisser mener au doigt par cette milice privée.
    Il est venu se mettre en travers du carrosse. Il n’a pas quitté la selle de son cheval. En vérité, tout silencieux qu’il soit encore, par la seule force de sa présence, il domine le parterre comme le farceur le plancher de la scène. Il est tout de clair vêtu, d’un habit jaune et blanc. Il est grand, fort bel homme, large d’épaules. Sa taille est nouée d’une écharpe de soie : son oriflamme. L’épée de rencontre qui bat aux flancs de ce cavalier magnifique est espagnole, j’en jurerais… de Tolède, sans doute. Ce doit être celle d’un pratiquant et non d’un courtisan.
    Un vent d’autan agite le panache de ce voyageur.
    Dans ce Paris de flèches et de clochers, de beaux esprits et de paroles captieuses, un capitan rapporte avec lui, comme un navire revenu d’Orient, un parfum d’ailleurs.
    Authentique héros de roman, notre paladin est suivi d’un compagnon de voyage, d’un faire-valoir. Ce dernier, sans doute un troubadour, un acolyte plus qu’un valet, porte une dague à la ceinture, par-devant, et une guitare sur le dos. Il est plus frêle et plus jeune que son prédécesseur d’une dizaine d’années. Ses cheveux et ses yeux sont aussi sombres que ceux du cavalier sont dorés. Il est l’ombre de ce Soleil.
    Mais revenons à notre comédie.
    Celle qui se joue sur les planches n’est pas encore perturbée par celle de la coulisse, au pied de laquelle je me tiens spectateur.
     
    — Place, manants ! crie le passager de la voiture.
    L’homme s’impatiente. La voie qu’ouvrent au-devant les cavaliers de son escorte reste trop étroite à son goût. Il veut voir s’aligner, de part et d’autre, une haie bien rangée.
    Tous ces piétons ramassés là pour assister bêtement à cette farce de village sont traités de tous les noms : gueux, marauds, faquins , et autres compliments.
    Le mystérieux cavalier finit par se rapprocher des roues de la voiture.
    — Allons, monsieur, dit-il avec politesse, passez donc la tête au-dehors et voyez comme ce comédien a du talent.
    L’autre méprise. Je vois sa main gantée se tendre en direction de l’interlocuteur et d’un geste sec le prier de garder sa place, ou plutôt de rejoindre les rangs. Mais l’importun ne bouge pas d’un pouce. Soit, il faut donc en venir aux mots.
    — Monsieur, écartez-vous, je n’ai pas le goût des bouffonneries. Du reste, je ne suis pas d’humeur.
    Le cavalier se penche et esquisse un salut de la main.
    Ce beau geste ne peut être adressé au râleur. Celui-ci doit être en bonne compagnie. En effet, le cavalier nous le confirme :
    — Pensez au moins à votre fille. Elle semble être en âge de goûter la fine plaisanterie. Toute l’âme de Paris est dans le jeu de cet homme.
    Cette fois, je vois le profil d’un visage passer le cadre de la portière. C’est une face bien raide, à la moustache fine, qui fronce les sourcils.
    — Cette jeune femme est mon épouse !
    Le mécontent montre le pommeau de sa canne. Il reprend :
    — Encore une fois, écartez-vous !
    Le cavalier ne fait faire qu’un pas à sa monture, comme pour ne pas recevoir de trop près le souffle fielleux de cette colère. Il se découvre et s’exclame insolemment :
    — Mademoiselle, madame, recevez dès aujourd’hui toutes mes condoléances.
    C’en est trop. Le passager enrage, fume, aboie. Puis… Dévisageant mieux son interlocuteur, il fait plus que s’indigner, il accuse publiquement.
    — Mais je vous reconnais ! Bas les masques, brigand !

Weitere Kostenlose Bücher