Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Mon rôle n’est pas de l’émouvoir. Je suis italien, un étranger pour vos compatriotes. Vous avez plus de liberté que moi. Parlez à son cœur. Par ce que vous lui direz, il apprendra aussi à connaître les hommes, à se défier de leurs bassesses, à encourager leur génie. Inspirez-le. Un roi doit aimer la vie, ou il ne serait qu’un tyran. Voyez, chevalier, en quelle estime je vous porte en vous confiant une telle responsabilité. Vous avez à votre tour charge d’âme. Et quelle âme ! Tâchez de dormir, chevalier, je vous veux sur vos gardes.
Chapitre trois
Où l’on voit la place de Grève
devenir celle de la Comédie
Château de Saint-Germain, 6 janvier, fin de matinée
Si Paris se réveille, le roi veut continuer de remonter le cours du temps
Après s’être reposé un court instant, le cardinal de Mazarin ouvre les yeux, l’esprit en alerte. Il fait ses ablutions à l’eau froide. Pour la journée à venir, toutes ses facultés seront mobilisées. Aussitôt revenu à ses responsabilités, il reçoit ses courriers, ses informateurs. Le coup qu’il a porté a fort surpris ses adversaires, tout à fait désemparés. Mais la torpeur ne durera pas.
Bientôt, le château pourra recevoir de nouveaux hôtes, triés sur le volet.
Ici et là, on se réveille, et l’on réalise que tout cela n’a rien d’un rêve. Le jeune roi a demandé son protecteur. Il l’a fait conduire dans sa chambre.
Louis XIV est debout, dos à la fenêtre.
Le mousquetaire s’est incliné au plus bas pour le saluer.
Le roi se montre souriant.
— Je suis bien aise de vous revoir, monsieur le chevalier.
— Avez-vous bien dormi, Votre Majesté ?
— Votre aventure m’a emporté dans un romanesque enchanteur dont je ne souhaitais plus revenir. Hélas, le jour est arrivé. J’ai beau être loin de Paris, j’entends en moi s’élever ces cris d’indignation lancés par la cour. Partis du Palais-Royal, ils gagnent la Ville, animant des mouvements de révolte. Monsieur mon parrain se veut rassurant, mais en vérité, nous venons de créer la panique.
D’Artagnan garde un instant le silence, avant de répondre. Le roi attend son conseil. Il veut se sentir protégé, la nuit comme le jour.
— Savez-vous, Majesté, à quoi l’on reconnaît du premier coup d’œil, dans les situations difficiles, un bon capitaine ?
— À sa bravoure ?
— À sa tranquillité. Être brave est plus aisé qu’on ne croit, sur un champ de bataille. Il suffit d’écouter battre le tambour. Mais la guerre a ses remous, comme l’océan. Un vent violent peut affoler les troupes et les mettre en désordre. Dans cette agitation qui ébranle les masses en tous sens, le bon capitaine se détache de la mêlée, comme un être d’exception dans les grands malheurs. C’est un soleil au milieu des nuages. Ce bon capitaine ne court pas, d’un point à l’autre, pour tenter l’impossible : ramener ce qui part à la dérive. Il reste de face, il garde le centre. En le voyant si droit et si serein au milieu des boulets et du sifflement des balles, ses fidèles le rejoignent et les ennemis, si nombreux soient-ils, finissent par trembler. Un homme de tête, s’il ne détourne pas les yeux, peut faire plier une armée.
— Vos paroles sont pleines de sagesse.
— Il ne faut pas se mentir. Paris est en alarme, le Parlement s’indigne. Les conjurés, affolés, se rassemblent. Dehors, c’est la déroute. Le cardinal le voulait ainsi. En cas de crise, il faut agir vite et le premier.
— Pourtant, je dois bien l’avouer : je ne suis pas si courageux qu’il le faudrait et plutôt que de songer à ces troubles à l’extérieur, je désire les oublier en vous entendant reprendre votre récit.
Le roi tend la main pour indiquer la chaise qu’il a fait porter dans sa chambre à l’intention du narrateur.
D’Artagnan s’incline une nouvelle fois.
— Sire, vos désirs sont des ordres et j’y répondrai d’autant plus volontiers qu’en replongeant dans cette aventure, nous prenons les choses à leurs racines.
Le roi fait demander qu’on le laisse seul en présence de son garde personnel.
Il fait porter du vin cuit pour le soldat. On a fait chauffer la pièce, il y fait bien meilleur que la veille.
Après s’être recouvert les épaules de la cape du mousquetaire, le roi reprend :
— Nous avons la journée devant nous. Chevalier, je veux tout savoir, dans les détails, la vérité des paroles. Ne me cachez rien.
Weitere Kostenlose Bücher