Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
leur faire respirer l’odeur de ce crime qu’ils n’auront pu commettre, en plaçant sous leur nez la preuve écrite de leurs sinistres complicités. Faites-les rougir sans qu’ils puissent se dérober.
— Je dois m’en remettre à vous.
— Je m’engage à vous faire sortir, vous et monsieur le cardinal, triomphants de cette affaire. Cet attentat par le poison ne pourra être commis au pied levé. Il faut que j’approche cette Italienne. Elle est une priorité. S’il m’arrivait malheur, vous sauriez d’où vient la menace. Le pire est donc écarté.
— Ce serait un grand malheur que de vous perdre. Que Dieu vous garde, chevalier !
Ainsi s’achève notre entretien.
La reine m’offre sa main à baiser et je me retire en la saluant.
Le comédien de Paris
Je dois donc sans délai me lancer sur les pas de cette empoisonneuse.
Sous un beau soleil, je longe les quais. Dans le ciel, pas un nuage. Illuminée comme un vitrail, la Seine suit son cours, charriant les barques légères et les navires en partance. Les rameurs se saluent. On entonne des chansons d’autrefois, on accoste dans la bonne humeur, on débarque sans peine le pont de ses marchandises. C’est le printemps, le mois de mai, la saison des amours.
J’ai pour intention de retrouver mon fidèle assistant, ce jeune brigandeau nommé Bastoche.
Le drôle réside habituellement loin des quartiers gardés, au dos de Notre-Dame, à l’ombre de sa protection, dans l’un des coupe-gorge des rues de la Truanderie. »
Le roi s’interroge :
— L’honnête homme que vous êtes ne court-il pas de grands risques en s’aventurant dans ces dédales sans escorte ?
— Deux mots suffisent là-bas à faire de l’importun un ami. Ces mots valent de l’or : nourris-moi. Bastoche m’offrit ce sésame pour l’avoir jadis délivré des mains de monsieur de Paris, le bourreau de la Ville.
— Ainsi, l’on peut mourir si jeune, en place publique ? Moi, le roi, je l’ignorais.
D’Artagnan fixe le roi et répond avec un ton où la franchise se joint à l’ironie :
— Oh, il ne s’agissait que de lui ôter le poing, de lui couper une aile. On espérait peut-être pour lui qu’il volerait mieux de l’autre.
« Cependant, les choses ne se passent pas toujours comme on l’a prévu. Je marche d’un bon pas pour aller jusqu’à lui, tirer si possible quelque bruit nouveau qui m’aiguillerait dans mon enquête. Mais l’aide que j’attends d’un enfant me vient du Ciel, sous forme d’un heureux hasard. Au final, les rôles s’inverseront, et j’irai rejoindre Bastoche non pour le questionner, mais l’informer afin de nous mettre au diapason. »
D’Artagnan avale une gorgée de vin, pose son verre, et se penche vers le roi, avant de lui parler :
— J’imagine bien, Sire, que vous devez être impatient de pister à mes côtés, sous ma protection, ces fauteurs de troubles et leurs ténébreux serviteurs.
— Oh oui, je le suis !
— Cependant, je dois vous prévenir, le chemin d’une enquête est aussi jalonné de périls que de détours. Pour atteindre la cible, la flèche de l’archer ira droit à son but, mais l’agent du secret progresse par cercles, comme l’oiseau de proie. Quand l’ennemi se déguise, qu’il cache ses troupes, qu’il soudoie des complices et des intermédiaires en toutes places, vos yeux, vos oreilles et votre intuition doivent rester constamment en éveil. À tout instant, il faut être prêt à quitter la proie pour l’ombre, car la proie peut-être un leurre. Quant à l’ombre, elle se déplace, elle disparaît ici pour frapper ailleurs. Les plans de bataille sont pour les armées ordonnées, l’agent du secret improvise, s’adapte, son esprit doitêtre semblable à la vague, souple et mobile. En la présente, nous allons devoir sortir de la ligne, nous promener dans la Capitale, aller au spectacle… faire semblant d’oublier notre enquête.
— Mais je vous suis bien volontiers, chevalier. Rien ne presse. Emmenez-moi, guidez-moi, faites-moi découvrir le théâtre du monde, la vie du dehors, je veux entendre mes sujets parler en toute liberté, je veux les voir vivre avec naturel, comme s’ils n’avaient rien à me cacher, comme si j’étais l’un des leurs.
— À vos ordres, Majesté ! s’exclame d’Artagnan en tapant dans ses mains. Reprenons les faits :
« Devant moi, grande foule, forte agitation… On se rassemble ; on tend son oreille, on écarquille ses
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