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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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qu’il traita d’égal à égal, tout ce que l’on soumit à son examen fut aussitôt renvoyé : celle-ci avait la jambe tordue, la suivante de vilaines dents, celle-là le vice collé au corps, la dernière une bonne apparence, mais un accent incorrigible… Il manquait de temps pour laver ces offrandes communes échouées dans la vase, faire une reine d’Antioche d’une ribaude tirée du ruisseau, donner à la craie la couleur de l’albâtre. Il cherchait la perle rare, une pièce unique brillant encore sous le limon, une beauté altière que ni les mœurs sauvages de l’entourage, ni les horreurs du contexte n’auraient pu enlaidir… Parti avec l’énergie du désespoir, l’intrigant alla de déception en désillusion, avant d’admettre sa défaite, toute honte bue.
    La mélodie
    La nuit va bientôt tomber. Philippe de La Veyre descend de cheval et tire son destrier par la bride. Le voilà revenu aux frontières de la Ville.
    Il se sent las. Il va rentrer chez lui quand un air de musique s’élevant non loin le retient encore. Cette mélodie lui remue les entrailles. Il y a là quelque chose de sublime et de déchirant.
    Philippe de La Veyre veut approcher l’instrumentiste et se placer à ses côtés.
    Il remonte la rue en sens inverse, tourne à main droite et voit le musicien, un luthiste, assis sur le rebord d’un petit escalier. Le gentilhomme s’approche et reste au bas des marches. Ce troubadour aux cheveux noirs, l’œil en amande, à la fois gracieux et viril, ne lui est pas inconnu. Où l’a-t-il déjà vu ? En quellescirconstances ? Pourpoint ouvert, tête nue, son instrument appuyé sur le genou, le musicien garde les yeux clos. Il joue pour lui, il joue pour elle, par bonheur et peut-être pour oublier, le temps d’une parenthèse, le reste du monde, le devoir à accomplir, la pesanteur de son bât.
    — Pardonnez-moi, monsieur, de vous interrompre, dit le gentilhomme en se découvrant, mais je crois n’avoir jamais entendu de mélodie aussi émouvante, elle me perce le cœur et m’enivre l’âme.
    Le musicien relève la tête. Ses traits sont ceux d’un homme, mais son visage est encore celui d’un enfant. C’est un Caravage, l’un de ces modèles pris dans les rues de Rome, pour figurer un Bacchus malade, un ange drapé, un joyeux drille jouant du pipeau, un assassin maniant le glaive ou le poignard, un tricheur cachant une paire de cartes dans sa manche.
    — C’est étrange, monsieur, dit le troubadour, il me semble vous connaître.
    — C’est bien possible. Du reste, je me faisais la même réflexion à votre sujet. Comment vous nommez-vous ?
    — Fortunio, répond le musicien.
    — La Fortune !… Comme elle est capricieuse. Hélas, elle me fait bien défaut. Eh bien, vous me voyez enchanté, monsieur La Fortune. Je ne suis guère mélomane et les choses de l’Art attirent d’ordinaire peu mon attention, mais ces accents, ces accords… cette tristesse et cette lumière…
    Fortunio est ému à son tour. Il sourit.
    — Monsieur, vous avez mis dans le rouge. Je porte le deuil d’un être cher et j’aime d’un amour fou une adorable créature.
    — Eh bien, sachez que votre détresse et votre enthousiasme si heureusement entrelacés m’ont rendu un fier service. La musique adoucit les mœurs, dit-on. Je crois désormais qu’elle s’adresse au plus profond de l’être. Grâce à ce rayon de lumière qui m’a réveillé, à ce chant qui m’a délivré de mes noires songeries, je réalise comme ce projet que j’étais résolu, coûte que coûte, de mener à bien, était en vérité vain et chimérique. M’en voilà débarrassé, foi de gentilhomme ! Je tiens, si vous le voulez bien, à vous remercier, monsieur La Fortune, en vous abandonnant la mienne, avant de reprendre ma route aussi léger qu’un cœur tranquille.
    Ce disant, le gentilhomme lâche sa bourse aux mains de Fortunio.
    — Monsieur, dit ce dernier, c’est beaucoup de générosité !
    — Cet argent doit passer entre d’autres mains que les miennes pour être purifié, je l’ai mal gagné.
    Soulagé, Philippe de La Veyre s’apprête, cette fois, à rentrer chez lui.
    Mais le visage de Fortunio s’illumine. Il vient d’apercevoir sa douce amie.
    — Ah, monsieur, ne partez pas. Je vais pouvoir vous présenter ma Muse, mon avenir, ma délivrance, la voici venir !
    Philippe de La Veyre cède à la curiosité. Il tourne la tête.
    Une jeune femme apparaît. Ses cheveux sont aussi rouges que

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