Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
souffle où il veut. Prendrez-vous du vin ?
— Volontiers, dit Molière.
Hélas, Molière…
Les deux hommes ont trinqué.
Molière va retrouver la rue, François de Lyon va terminer son œuvre.
Mais le comédien ne veut pas partir sans en avoir le cœur net :
— Pardonnez la brutalité de ma question, mais… seriez-vous Corneille ?
François de Lyon sourit. Son beau visage aux cheveux bouclés et à la barbe grise se couvre de mille plis.
— Qu’importe ce que je suis ou ce que je ne suis pas. Maintenant, ce qui compte, c’est ce que vous allez devenir. Et j’ai grande confiance en vous, Molière. Je vous transmets le flambeau. Éclairez le monde, jusqu’à vous brûler corps et âme, s’il le faut.
Molière frémit. Cette parole n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
Il ouvre la porte, passe la tête de l’autre côté du seuil, et demande encore :
— Ce Philémon Janisse de La Ravoie, vous le connaissez, n’est-ce pas ?
François de Lyon sourit encore. Mais cette fois son sourire est amer.
— Hélas, Molière, hélas.
Vin, poulet et réjouissance
Molière quitte François de Lyon l’esprit fort troublé.
Les paroles de l’auteur, ces mots qu’il a eu le privilège de lire le premier, ce texte qu’il ne pourra pas jouer, tout cela l’a atteint profondément et semble accomplir un travail en lui-même. Tout bien pesé, cette désertion est en effet une délivrance. La tragédie n’est définitivement pas faite pour lui. Et pourtant… tout cela tient à peu de choses. Car il sent bien qu’il n’est pas un trublioncomme un autre. Son sens de l’observation, la couleur de son esprit ont quelque chose de singulier, d’unique.
Le cœur lourd, la tête encombrée, Molière se dirige vers l’auberge Le Soleil d’or . Il espère y trouver Hercule.
Mais Hercule est absent.
« Il doit être chez elle, se dit Molière.
Il est trop tôt pour se présenter là-bas. J’aurai l’air fin, si ces deux-là sortaient du lit… Pour m’ouvrir la porte et me laisser, plein d’embarras, annoncer ma démission de but en blanc.
J’ai du temps devant moi, je vais marcher. »
C’est ainsi que Molière va se hasarder de ruelle en ruelle, de place en place. Chaque pas qu’il fait semble l’alléger un peu. Il finit même par retrouver l’appétit. Bon signe. Sa poche est pleine, il est riche pour un pauvre… Mais enfin on trouve toujours plus pauvre que soi. Jean-Baptiste Poquelin ne sort pas du ruisseau, mais d’une maison bourgeoise, d’un collège prestigieux, il sait son latin, il connaît ses évangiles, il a l’esprit bien trempé, la tête bien faite… et le ventre creux.
Soit. Il s’offre un poulet à la broche et une bouteille du meilleur cachet. Il mange seul, digère ses méditations, et sort la bouche pleine de cette auberge où il entré avec ses derniers remords, en gardant à la main une cuisse entière qu’il va dépouiller pièce à pièce en poursuivant sa route et en reprenant des couleurs aux joues.
Son pèlerinage improvisé le conduit à l’écart des rues ensoleillées.
Ce territoire est plein de dangers, paraît-il, mais le danger est tellement plus attirant que l’avenue marchande. Certes, qui va là la bourse pleine peut s’y faire de nombreux amis : étudiants en goguette, soldats en maraude, joueurs en manque de fonds, mais il peut aussi tout perdre sans rien recevoir en retour, si ce n’est un simple remerciement, pour peu que le voleur ait quelque volonté de se montrer reconnaissant ou de prouver que l’on peut sombrer dans le crime sans rien perdre de son éducation.
Du bruit, des rires attirent Molière. Il se laisse attraper.
Point d’estrade. Ces comédiens jouent à même le sol, à hauteur d’homme. Ils sont muets, mais ils sont drôles. Et Molière éclate de rire. Il n’est pas jaloux, ce bon cœur ! Ils sont toute une troupe,une troupe aux mille couleurs. Ces bohémiens semblent venir des quatre bornes du monde. L’un a quelque chose d’un Mongol, l’autre d’un Peau-Rouge, celui-ci d’un Espagnol, celle-là d’une Égyptienne.
Une jolie brune vient se placer à côté de Molière, mais celle-ci n’a rien d’une étrangère. Le spectacle s’achève. Les acteurs saluent et tendent leurs chapeaux. Les gens ont bien ri, mais ils donnent peu et s’en vont aussitôt. Molière veut montrer l’exemple, il met la main à sa bourse, mais de bourse, point. Plus. Disparue. Envolée. Comme cette jolie brune qui part
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