Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
son cœur le plus enragé. Main-gauche est parti chez Gaillusac comme prévu ; il reviendra avec un papier signé, où le parvenu s’engage à reverser la moitié de sa fortune au chef Lanteaume. Lourde caution que le brigand d’honneur, de son côté, a juré de brûler si toutes les promesses qu’on lui a faites étaient bien tenues, à la suite du coup de feu.
Lanteaume, lui aussi s’est absenté. Nul ne sait où. Nul ne sait pourquoi. Nul ne sait quand il reviendra. Mais, répétons, je n’ai pas pour autant liberté de sortie. On me convie à jeter les dés, à passer le temps, à boire un godet.
Plus tard , dis-je. C’est en effet le meilleur moment pour rester près de l’Alouette sans éveiller la fureur de ces deux dragons gardant sa porte : le protecteur et le gardien jaloux.
Cette parenthèse, c’est un moment privilégié.
Alors que bientôt tout va voler en éclat, alors que rien ne pourra durer, alors qu’il faudra encore trancher, laisser le glaive de la fatalité séparer ceux qui veulent s’unir, diviser ce qui pourrait ne faire qu’un, alors… dans ce moment de bonheur si fragile et si précaire, je goûte à quelque chose d’infini, une douceur que j’avais bien oubliée : la paix.
Oui, chevalier, je vais, je viens, je m’échappe, je m’évade, je fuis, mais ce matin-là, j’ai connu le repos, la trêve. Et j’aurais tout donné pour que rien ne l’achève.
Mais les roses ne durent qu’un matin, qu’on se le tienne pour dit.
Des heures ont passé. Silencieuses et légères.
Margaux veut se lever, elle s’habille, elle sort de sa tente. Je la suis.
Lanteaume est rentré. Il était temps de nous quitter.
Fort heureusement le brigand ne nous aperçoit pas. Il est de dos, en pleine conversation.
J’en profite pour offrir un dernier baiser à cette Alouette que je suis parvenu à apprivoiser.
Lanteaume, disais-je, est en pleine conversation. Il parle avec une femme. Elle porte un long manteau surmonté d’une capuche. C’est en m’éloignant que je la reconnais. Je suis pris d’un frisson. Car tout cela ne me dit rien qui vaille.
Cette femme, chevalier, cette femme qui est venue seule et fort discrètement, cette femme qui va repartir sans un bruit, c’est Desdémone.
Pris au piège
J’attends qu’elle soit partie pour aller interroger Lanteaume.
Moment délicat.
— Que voulait-elle ?
— Te voilà bien curieux, me dit Lanteaume avec méfiance, son regard a changé. Tu la connais ?
— Je lui courais après, dis-je, et j’ai fait du chemin depuis Rome pour la séduire. Mais c’est de l’histoire ancienne. J’ai renoncé à ces jeux mortels. Madame est empoisonneuse. Le saviez-vous ?
— Fort bien, me dit Lanteaume, c’est pour cela que je l’ai fait venir. J’ai besoin de ses services. Il est un peu tôt pour te mettre dans la confidence.
Quelle est donc cette sinistre affaire qui se prépare ?
Vous allez comprendre, d’Artagnan, pourquoi je n’ai pu vous rejoindre ce soir-là. À la tombée du jour, Main-gauche vient me retrouver.
— Lanteaume souhaiterait te voir, me dit-il, je vais te conduire. Il veut te parler seul à seul, à l’extérieur du camp.
Bon ou mauvais signe, je vais bientôt le savoir . Il faut monter à cheval. Je suis Main-gauche.
Il m’entraîne dans un coin tranquille, trop tranquille. Le camp est hors de vue.
Il s’arrête.
— Où est Lanteaume ? dis-je.
— Lanteaume ne viendra pas.
Main-gauche siffle. C’est le signal. Quatre hommes sortent des bois. Des hommes avec qui je riais la veille, devant le feu de camp.
— Nous savons qui tu es, nous savons qui t’emploie, qui t’a poussé jusqu’à nous. Le cardinal de Mazarin, n’est-ce pas, beau merle, n’est-ce pas, Jean Hackard de La Hache ?
La surprise est de taille.
Main-gauche savoure sa vengeance.
— C’est bien, qui ne dit mot consent. Quelle belle prise ! Tu es à la fois un traître et un vieux souvenir.
Je questionne Main-gauche.
— Comment avez-vous su ?
— Pour le vrai nom, c’était hier, près du feu. J’attendais que tu fasses un faux pas pour te tomber dessus. Mais c’est plus encore que je n’espérais. Pour le rôle, pour l’emploi, c’est grâce à cette femme qui a rendu visite à Lanteaume, c’est elle, la Desdémone, qui t’a dénoncé comme agent de Son Éminence.
Chasse à l’homme
…Main-gauche me tient à sa merci.
— Nous avons ordre de t’abattre comme un traître, mais un homme à la solde de Son
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