Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Léviathan de pierre qu’est la Bastille, c’est là que j’ai croisé en chemin Hyppolite de Lanteaume.
Diable, quelle image, cette rencontre, ici !
Le voir fut pour moi une sorte de soulagement. Un soulagement en demi-teinte. S’il était pris, c’est que l’embuscade avait échoué. Mazarin était sauf, Mazarin était vainqueur, du moins d’une première manche. Cependant qu’était-il advenu de Margaux ?”
— Elle n’était pas présente lors de l’affrontement, dis-je à l’aventurier.
— Merci de me l’apprendre. Et Main-gauche ?
— Il court toujours. Mais je vais bientôt vous en dire plus… terminez.
— Donc, je croise Lanteaume, et lui aussi me voit, dans cette fâcheuse position de captif, tout comme lui. Cette fois il me semblerait que nous soyons du même côté. Il ne comprend pas. Il ne sait pas s’il doit me maudire ou me sourire. Que de désenchantement dans son regard… La mort peut venir, pour balayer le reste, je l’attends , voilà ce que je lis dans les yeux de cet homme foudroyé, de cet aigle mis en cage, au sommet du donjon. Voilà, chevalier, je crois avoir terminé ma part de récit, à vous la parole.
Mais à cet instant, un gardien entre dans la cellule. Il s’approche de moi et me murmure quelques mots à l’oreille.
— Cher ami, dis-je à mon allié Amadéor, si vous le voulez bien, nous achèverons cet entretien dans une autre partie du château. Le cardinal s’est libéré. Il nous attend.
Les grilles sont ouvertes, l’oiseau s’envole
« Ces couloirs de la Bastille, reprend d’Artagnan à l’intention du roi son maître, sont décidément bien des galeries, et ces galeries semblent être devenues, à l’heure de notre récit, de véritables avenues passantes.
Les divers protagonistes de ce drame, figures de premier plan ou seconds rôles mais premières lames, s’y retrouvent par hasard, comme devant une place publique, jour d’exécution.
Lanteaume sort de sa cellule, tenu entre plusieurs mains, serré par les gardes comme il l’est par les fers enchaînant ses poignets et ses chevilles. Nous le reconnaissons du haut de l’escalier, il descend les degrés vers un autre abîme.
— Où va-t-il ? me questionne don Juan de Tolède.
— Là où l’on parle, dis-je, de gré ou de force.
Mais une nouvelle surprise nous attend.
C’est-à-dire, une autre rencontre.
Étranges retrouvailles. Retrouvailles écourtées. Si nous prenons chacun le chemin de la liberté, nous n’empruntons pas les mêmes sorties.
Je questionne le geôlier, qui me dit :
— Aucune charge réelle ne pesant sur cet homme, Son Éminence ne peut le retenir plus longtemps. Il sort.
— Le bonjour, messieurs, nous dit l’homme. Quelle belle paire vous faites !
En effet, cet homme nous connaît tous deux, don Juan de Tolède et moi-même, mais c’est la première fois qu’il nous voit réunis. D’où son étonnement.
— Monsieur Fabien Delorme, dis-je en le saluant froidement.
— Monsieur Charles Lacroix, dit Amadéor, en faisant de même.
Oui, Sire, cet individu, c’est notre oiseau de mauvais augure, notre oiseau de proie que le cardinal avait fait saisir à la porte de l’hostellerie de maître Renard, La Belle Jeanne . Mis au régime sec, ce bretteur sur gages a perdu du poids, ses traits sont tirés, ses cheveux sont gras, la belle apparence de ses vêtements sur mesure, noirs comme une aile de corbeau, n’est plus qu’un lointain souvenir. Il sent la sueur, la moisissure, la pourriture, mais plus fier que jamais, il fanfaronne :
— Pardonnez-moi de devoir vous quitter. On m’a donné pour consigne de poursuivre mon voyage, et d’aller ailleurs tenter l’aventure. C’est dommage, Paris a du charme. Mais vous savez ce que dit le dicton : jamais deux sans trois. C’est une certitude, messieurs, nous sommes appelés à nous croiser encore. Adieu, donc, et à bientôt. »
Quatrième Partie
La Cabale contre-attaque
Chapitre un
La Cabale en échec
Le chevalier d’Artagnan s’est montré cruel.
Alors qu’il s’apprêtait à conduire le roi avec lui, avec don Juan de Tolède, chez Son Éminence dans l’un de ses cabinets secrets, il crut bon de remettre l’épisode au lendemain. À dire vrai, il avait en effet déjà copieusement rempli la journée. Une fort longue journée pour notre narrateur qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit.
Il ne faut point trop en demander aux téméraires.
Le roi voulut se révolter, faire
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