Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Juan, vous avez de la cervelle et je n’ai que du sang dans les veines, un sang qui me monte vite à la tête. Voilà le mystère résolu.
J’interromps l’aventurier :
— Il en reste un second. Parlons franchement. Nous savions, madame, don Juan et moi-même, que vous aviez été approchée par la Cabale pour assassiner Son Éminence, en qualité d’empoisonneuse. Nous savons que vous étiez résolue de n’en rien faire, mais comment diable ces intrigants ont-il su qui était votre fille et où la trouver, pour l’enlever ensuite ?
— Pour le coup, dit Amadéor, j’ai mon idée : Main-gauche, encore lui. Notre homme mange à tous les râteliers. Il ne s’est pas contenté de trahir Lanteaume pour de l’argent : après ou avant vous avoir rendu visite, Desdémone, il est allé frapper à la porte de feu Gaillusac pour lui vendre l’information, une information que l’ambassadeur a fait remonter à ses supérieurs avant de passer outre. Et Main-gauche présenta la chose pour en tirer le plus de bénéfices en disant : Il vous manquait un levier pour forcer la volonté de cette empoisonneuse, le voici. Deux précautions valent mieux qu’une. Si ce guet-apens échouait, hélas, contre toute attente, n’aimeriez-vous pas sincèrement avoir la possibilité de rebondir derechef plutôt que de faire bonne mine à mauvais jeu ?
— Bien raisonné, dis-je à don Juan, en le félicitant, cela se tient.
Amadéor revient au vif :
— Maintenant, notre affaire. Je suis parfaitement épris de votre fille, je ne demande qu’à vous la délivrer, mais je vous invite àrevenir sur vos à priori. Vous voulez m’engager, épargner Son Éminence, je dis soit, et je vous demande la main de votre héritière en retour.
Desdémone pâlit. Un échange vif et rapide s’installe entre les deux interlocuteurs. Je reste en arrière, amusé. Voici le dialogue, Desdémone réplique la première : — Vous vous moquez, monsieur ?
— Mon Dieu, non. Il me semble que dans les fables, le sauveur, quelle que soit sa condition, est ainsi récompensé de sa bravoure : par des noces. La princesse épouse l’aventurier.
— C’est à son père, alors, qu’il faudrait faire votre demande.
— Donnez-moi son nom, et j’y cours.
— C’est un peu délicat et je doute de son approbation.
— Dites toujours, je ne doute pas, moi, de mes moyens de persuasion.
— Vous aurez son nom quand j’aurai la fille.
— Marché de dupes.
— Je n’en ai pas d’autre à vous offrir.
— Ah, madame, vous êtes encore gagnante : je déteste faire des manières. Topons là.
Desdémone dévisage la main tendue :
— Vos façons sont décidément singulières.
— Pardonnez-moi de vous citer : Je n’en ai pas d’autre à vous offrir.
— … J’ai peut-être une piste pour vous aider. C’est sans doute Lanteaume lui-même qui a choisi le lieu où ma fille allait être mise à l’abri. Or, je suis bien renseignée, ce Lanteaume est loin d’être un vulgaire brigand de grands chemins.
— Cela, nous le savons, dis-je en intervenant dans la conversation.
— Peut-être savez-vous également, alors, qu’il a pour famille à Paris une cousine devenue mère prieure dans un couvent d’Ursulines ?
— Vous faites bien de me le rappeler, dis-je, pris au dépourvu.
— Quel meilleur endroit pour y cacher la fille que l’on aime, à l’abri de toutes violences ?
Amadéor et moi échangeons un regard. C’est en effet la première piste à suivre.
Et Desdémone de nommer le couvent, de donner son adresse, de décrire le meilleur chemin pour s’y rendre.
Don Juan s’exalte, et reste provocateur :
— Mes compliments, madame ! À nous deux, quelle formidable association nous ferions ! Au demeurant, avant d’être d’ici peu votre gendre, je ne suis que votre serviteur. Pardonnez-moi de le rappeler, chez moi, l’homme de cœur se cache derrière l’homme d’argent. Il faut satisfaire les appétits du devant pour apercevoir la noblesse du tréfonds. Vous nous proposiez des gages. Nous acceptons. D’ailleurs, nous aurons peut-être besoin de verser l’or sur notre route. Cela ouvrira des portes et déliera les langues.
Ce disant, Amadéor tend la main, et poursuit :
— Consolez-vous en vous disant que c’est une avance sur la dot.
Desdémone s’absente quelques secondes et revient chargée d’une escarcelle. Elle la cède au bourreau des cœurs en disant : — De grâce, ramenez-la moi.
— Nous ferons tout notre
Weitere Kostenlose Bücher