Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
que cet homme saisit son fils contre lui, sans un mot.
Étrange scène pour les spectateurs aux arrières, restant en ligne, à cheval, muets, intrigués ou émus.
— Tu ne fais qu’aller et venir, tu ne vas pas rester, n’est-ce pas ? dit enfin le père en portant sa grosse main à ses yeux.
— Non, dit simplement don Juan.
Edmond de Villefranche est debout. Il paraît sur le seuil.
— J’ai de bonnes nouvelles, dit Amadéor. Votre oncle est désormais logé six pieds sous terre. Il nourrit les racines. Quant à vous, quittez les enfers et les ténèbres. Voyez l’aurore, il vous rappelle à la vie, votre montée en gloire est imminente. Du reste, vous êtes également libéré des engagements trompeurs et stratégiques que vous dûtes prendre avec Adélaïde de Gaillusac qui a rejoint son mari au tombeau.
Edmond de Villefranche faiblit.
Cela n’est pas très exactement une bonne nouvelle…
Don Juan poursuit :
— Mise en déroute, la Cabale contre-attaque. Nous vous expliquerons en chemin, si vous voulez nous suivre. Je vous préviens, le périple est des plus incertains. Êtes-vous prêt une nouvelle fois, et pour le service du cardinal, à courir à la mort ?
— Je vous remercie d’être venu me chercher, répond le gentilhomme, d’avoir pensé que je pouvais être utile.
— C’est qu’ici, dit Germain Hackard de La Hache, les distractions ne font guère partie de notre ordinaire. Son épée commençait à rouiller dans son fourreau.
— Cependant, ne me remerciez pas trop vite, dit froidement don Juan à l’adresse du gentilhomme. Pour parler franc, nous n’avions pas d’autre candidat.
— Eh bien, dit Edmond de Villefranche, en se couvrant de sa cape, en ajustant son chapeau sur sa tête et en saisissant son baudrier, espérons que la dernière roue de votre carrosse supportera les ornières sans quitter son essieu, poussant ainsi tout l’équipage au fond du fossé.
— Aussi je vous invite à prendre avec vous un véhicule de secours, s’exclame le maître des hautes œuvres, Germain Hackard de La Hache, en désignant sa charrette attelée, contenant vivres et tonneaux. Cette charrette que j’ai moi-même laissée sur place. Mais qui va la conduire ?
Le maître des hautes œuvres passe une tenue civile, il pose un manteau à large capuche sur ses épaules, il se coiffe d’un feutre à larges bords. Tout le monde est stupéfait de le voir venir. Mais Germain se fait attendre.
Il a encore quelque chose à emporter.
Cette chose, il doit la saisir à deux mains, tant elle est lourde, cette chose qui décapite le Mal, cette chose qui délivre les âmes, c’est Martyre , l’épée de Justice.
Retour
Alors que nous allons nous mettre en route, une figure à cheval s’approche de la maison rouge. Don Juan de Tolède nous demande d’attendre encore quelques instants.
Cet homme, ce cavalier, ce travailleur qui revient chez lui, après avoir œuvré toute la nuit, par le fer et par le feu, c’est son frère.
Instant solennel.
Les deux hommes se font face.
— Alors, c’est bien vrai, dit le tourmenteur, tu es revenu.
— Rassure-toi, lui répond don Juan, je ne m’attarde pas.
Le jeune bourreau observe notre groupe et se raidit :
— Père est avec toi ?
— C’est sa volonté.
— Sa volonté ? Un bourreau n’en a pas… Il est l’esclave de son devoir.
— Eh bien, justement, père vient de briser sa chaîne. Il est libre.
— Et où allez-vous ?
— Au feu.
— Tu n’aurais pas dû revenir. Cette maison, cette famille, dit-il en désignant son toit, c’est tout ce que j’ai… Si père meurt, je t’en tiendrai personnellement pour responsable. »
Chapitre trois
Combats
Faites vos prières
Au château de Saint-Germain, le roi est furieux. Mais la reine est catégorique.
— Il est temps de se coucher, Louis. Faites vos prières.
— Déjà ?
Être ainsi coupé, à tel moment ! C’est par trop injuste !
Hélas, oui, il faudra attendre le lever du prochain jour. Du reste, le roi peut faire de beaux rêves.
Il garde devant les yeux, même fermés, l’image épique et si étonnante en vérité, de cette compagnie de la dernière chance. Quel assemblage, quel équipage, quelle armée ! Il n’y a que le don Juan de Tolède pour fédérer tous ces contraires, pour rassembler des quatre coins de la société de tels opposés ! Le bourreau de Paris, l’exécuteur en titre (bien que son fils occupe maintenant la charge – pesante charge à
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