Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

espoir.

Chantage
    Il rêvait de la voir tomber à ses pieds. C’est chose faite. Elle est là, prosternée, suppliante. Don Juan se penche vers elle, il lui relève le menton, lui donne la main, et l’invite à se redresser, à retrouver son maintien, sa hauteur.
    — Eh bien, dit Amadéor, que peut-on pour votre service… madame ?
    Desdémone tient une lettre dans sa main, elle nous la tend, en nous disant : — Lisez, messieurs, et venez à mon secours, je vous en supplie, je vous paierai tout l’or qu’il vous plaira.
     
    Le message est clair.
    Le voici, je le répète de mémoire :
    Nous tenons votre fille, cette belle et jeune frondeuse nommée L’Alouette. Nous comptons, madame, sur vos talents d’empoisonneuse et de séductrice pour que le cardinal disparaisse enfin de ce monde. Vous avez deux jours. Passé ce délai, nous serions dans l’obligation, en ce fâcheux cas où vous ne nous auriez pas donné entière satisfaction, de faire taire à jamais votre unique héritière. À bon entendeur ne faut qu’un mot.
    Dès que la bonne nouvelle sera répandue de par le royaume, la prisonnière vous sera rendue… Ceci est une parole et nous n’en avons qu’une.
    Que Dieu vous garde, madame.
     
    — Eh bien, dit don Juan, il semblerait en effet que l’on arrive comme un tambourin en noce. Je viens en effet d’apprendre, par Son Éminence, que la belle Margaux est votre fille. Mais laissez-moi vous présenter d’Artagnan, mon autre moi-même.
    Desdémone est stupéfaite.
    — Ainsi, dit-elle à Amadéor, vous êtes bien un agent de Mazarin ?
    — Pourquoi faites-vous mine de l’apprendre ? Ne m’avez-vous pas dénoncé comme tel à ce cher Hyppolite de Lanteaume qui croupit maintenant derrière son grillage ? N’est-ce pas grâce à vous que ce maître a ordonné ma mort ? Les balles et les coups d’épée que vous dirigeâtes contre moi sifflent encore à mes oreilles !
    — Si vous permettez, dis-je, je crois pouvoir fournir une explication. Pardonnez-moi d’intervenir, madame. Ce que je sais me vient également du cardinal à qui vous vous êtes confiée, sans ménagement, mais avec le bon conseil de votre conscience. Le cardinal, notre maître (je vous fais l’amitié de vous dire que je suis également et secrètement à son service, que la confidence reste cloisonnée dans votre cœur), le cardinal notre maître, dis-je, nous a tout retranscrit de votre entrevue chez le brigand Lanteaume. Mon ami don Juan de Tolède m’ayant également raconté sa version des faits, je pense être à même de tirer quelques déductions, arrêtez-moi si je me trompe. Vous êtes donc face à Lanteaume, celui-ci repousse votre offre. À cet instant, alors que vous allez partir, vous apercevez votre fille… L’émotion vous gagne, mais soudain la joie disparaît. Votre fille n’est pas seule. Vous surprenez un baiser. Un baiser échangé avec le bourreau des cœurs don Juan de Tolède. Vous n’avez pas le temps de vous demander ce qu’il fait là. Ce séducteur en fuite est-il venu chercher refuge ? A-t-il profité du bon accueil réservé aux ennemis de la loi pour user de ses charmes auprès d’une nouvelle victime ? Ce qui est certain, c’est que vous ne supportez pas l’idée – ne le prenez pas mal cher ami, dis-je en me tournant vers Amadéor –, d’imaginer votre fille aux mains d’un tel homme. Vous êtes mère et vous êtes femme, bref, vous êtes prête à tout faire, à tout dire, pour écarter cet importun, pour éloigner définitivement ce chasseur de cette biche, ce chat de cet oiseau. Or, vous savez mieux que quiconque comme quelques mots peuvent suffire à semer le doute,à ruiner une réputation : ces mots qui sont un poison, ces mots qui tuent. Un coup de langue vaut parfois mieux qu’un coup de lance . Et c’est là que vous vient l’idée d’inventer ce qui est la plus stricte réalité, une réalité que vous ne pouvez soupçonner : Ce comédien, dites-vous à Lanteaume, est un espion du cardinal. Du reste, pour votre décharge, vous imaginez peut-être que ce don Juan sera simplement renvoyé. Mais l’heure est grave, Lanteaume vient de passer accord avec la Cabale pour occire Mazarin. Un espion, chez eux, c’est le loup dans la bergerie, et le berger ne repousse pas le loup à coups de pointe, il l’abat d’une balle en plein front.
    — Monsieur d’Artagnan, dit Desdémone éplorée, vous dites vrai du premier au dernier mot.
    — Bravo, d’Artagnan, dit don