Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Don Juan rentre. On ne peut cependant le laisser seul, il faut bien qu’un témoin – l’un des gardes – puisse observer ce qui va advenir.
Maintenant, élargissons notre vision, voyons la scène avec les yeux de l’Esprit, prêtons notre voix à celles de ces deux amants et tâchons d’entrer si loin en sympathie avec eux que nous puissions entendre les battements de leurs cœurs, sentir leurs larmes brûler leurs joues, comme si ce feu nous consumait, comme si cette eau nous purifiait.
La prisonnière est là, blottie dans un coin.
Elle a retrouvé ses bottes et son chapeau : son uniforme d’homme. Le voile et le linge austère de la novice furent jetés en boule, dans un coin de la pièce. Mieux vaut vivre et mourir en étant soi-même, sans masque ni mensonge, dut clamer la voleuse, que dans le déguisement de la vertu .
Alors que son libérateur s’avance vers elle, elle ne lève pas la tête. Elle reste prostrée, enfermée en elle-même aussi solidement qu’elle l’est entre ses murailles, au milieu de ces rondes en marche et de ces mercenaires aux aguets.
Mais aucune forteresse qui soit imprenable. Aucun coffre qui ne puisse s’ouvrir, aucune cuirasse qui ne puisse être traversée, il faut la clé, passer la porte étroite et atteindre le centre.
Mais moi, j’aime l’Alouette qui n’est rien qu’un ramage
Une flèche d’or et d’azur transperçant les nuages
Ces mots, cette voix, est-ce possible ?
La tête se lève, le regard cherche dans le noir.
Dans le noir, un visage apparaît, le sien… il est vivant.
— Je vous croyais mort, dit-elle.
— Parlez bas, lui dit le don Juan, on nous surveille.
— Mais qui êtes-vous ? Voleur ? Brigand ? Sauveur ? Espion ? Traître, ami ou ennemi ?
— Que vous dit votre cœur ?
— Mon cœur ne parle plus, il me fait souffrir. Il me fait mal.
— Mais me voir, cela vous fait-il du bien ?
— Oui, je crois…
— Alors oubliez ce que vous croyez savoir, ce qu’on vous a dit de moi, ce que vous supposez, ce qui n’est rien que du vent, et n’écoutez que ce que vous ressentez. La vérité est à l’intérieur. Prenez et mangez, prenez et buvez, je vous ramène à la vie, je vous rends au monde. Ce soir, tout recommence.
La voleuse accepte l’offrande qu’on lui tend.
Le garde est stupéfait. Il tape sur la porte.
La porte s’ouvre.
— Pardieu ! dit-il aux autre sentinelles, regardez donc ! Un vrai magicien, ce gars-là, ma parole, je ne sais ce qu’il lui a dit, mais il a trouvé les mots. Il est gagnant. Payons…
— Et mourez ! dit Edmond de Villefranche en entrant avec moi.
Devant le pas de la porte, c’est une suite de luttes rapides et d’égorgements. Pris de court, les gardes ne peuvent riposter, ils s’effondrent de concert, dans un bain de sang. Il faut faire vite. L’Alouette est tirée de sa détention.
— J’étais encore, monsieur, l’objet d’un pari ? demande-t-elle à son sauveur.
— Oui , répond Jean Hackard de La Hache, mais le premier voulut vous perdre, quand le second vous délivre.
La fille du cardinal
Mais notre intervention ne fut pas aussi discrète qu’on l’eût souhaité. À peine avons-nous remonté quelques marches que nous nous retrouvons face à un mur. Un mur de fer et d’acier, de soldats et de lieutenants.
Fargis pointe vers nous le canon de sa bouche à feu. À ses côtés, je découvre Edwige de Bellerasse, je fais sa connaissance. Derrière elle, se trouve sa conscience, monsieur l’abbé, les mains jointes, en tenue de scène. Sans doute fut-il chargé de donner plus tard les derniers sacrements à la prisonnière, de recueillir ses confessions, de lui remettre, au nom du Dieu d’amour, le poids de ses péchés. Tout ce beau monde est tenu sous bonne escorte. Une dizaine de mercenaires les encadrent, empêchant la moindre avancée.
Fargis est des plus étonné. Mais en même temps, il se réjouit.
— Madame de Bellerasse, je me convertis sur-le-champ à votre religion chrétienne ! Je crois à la résurrection de la chair, à la vieéternelle ! Voyez ces morts-vivants. D’Artagnan et Edmond de Villefranche ! C’est à peine croyable ! À se demander si l’on rêve ! À se demander qui vous a trahie, qui vous a trompée !
— Je ne sais pas où sont vos menteurs, monsieur Fargis, mais j’ai le mien devant moi, dit Edwige de Bellerasse en désignant don Juan de Tolède. Et le mien m’a coûté fort cher. Je compte sur vous pour lui rendre la
Weitere Kostenlose Bücher