Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
dévisager la captive.
Nous avançons mais une voix, douce dans les ténèbres, nous pousse à l’arrêt.
— Plus un geste, dit Edwige de Bellerasse en pointant son stylet meurtrier contre la poitrine de la jeune frondeuse Margaux dite l’Alouette .
Donnez-le-moi
— À voir ces têtes de vainqueur, dit-elle, je gage que Fargis est mort et que vous détenez son précieux document. Donnez-le-moi ou je tue la fille.
— Faux, dit don Juan de Tolède en levant la main pour empêcher quiconque d’agir. Fargis est mort, mais nous n’avons pas le document. Il l’a brûlé avant de déchirer son tablier.
— Je n’en crois rien.
— Fouillez-nous.
— Volontiers. L’abbé, vous avez entendu. Rendez-vous utile.
L’abbé Grégoire de Ravigneaux se présente, ombre noire derrière l’ombre blanche. Il n’est pas à son aise. Ces besognes sont nouvelles pour lui. Il commence par moi, mais je n’ai rien… évidemment.
— Tant pis pour les morts, dit l’intrigante, notre hôte va être content. Il y a du sang sur toutes les marches, mais j’ai la fille et je vais avoir – au cas où – une arme de dernier recours. On n’est jamais trop prudent.
Vient le tour de don Juan, je vois la tête d’une dague briller au bout de sa main, dépassant de sa cape. En s’approchant de l’aventurier, l’abbé est fort surpris de se retrouver dans la même position que la prisonnière.
— Relâchez-la, dit don Juan, ou je saigne votre valet.
Edwige de Bellerasse garde son sang-froid.
— Je vous le laisse. Ouvrez-lui la gorge.
L’abbé blêmit, comme un cierge privé de sa flamme.
— Mais, dit-il, vous ne pouvez… cet homme va me tuer !
— Ah, l’abbé, que feriez-vous d’une infidèle ? s’exclame la traîtresse.
Pendant ce temps, les hommes du bas ont continué de monter les degrés. Ils sont tombés sur les cadavres au moment où Edmond de Villefranche s’apprête à donner notre carte maîtresse, le parchemin.
Le glaive et la croix
— Alerte ! crie-t-on.
Ce cri d’alarme, l’Alouette en profite. Elle saisit le bras qui la menace et retourne l’arme contre sa propriétaire. Edwige préfère lâcher prise et s’écarter.
Nous tenons toujours l’abbé. Nous allons bientôt être cernés.
Germain Hackard de La Hache a pris sa décision.
— Donnez-moi le prêtre et fuyez ! nous dit-il.
Il fait tomber sa cape.
— Martyre et moi, explique-t-il en montrant sa lourde épée de justice, nous allons tenir la sortie du couloir le plus longtemps possible. Viens, l’abbé, ordonne-t-il en saisissant le pauvre homme par le col, d’une main de fer.
Le maître des hautes œuvres place le prêtre à sa droite, contre le mur. Il l’informe de ses volontés :
— Ici, à genoux. Prie pour mon âme, et pour ceux qui vont tomber .
Germain de La Hache se recule.
Il se tient à bonne distance de la sortie de l’escalier.
Il serre son épée à deux mains pendant que l’abbé, tremblant, prend son chapelet et marmonne les premiers mots.
— Articule ! ordonne l’exécuteur, et à haute voix !
Choisir sa mort, c’est donner sens à sa vie
L’image est saisissante. Ce géant debout, ce prêtre tremblant, à genoux, les torches en mouvement jetant des lueurs contre les murs, les ombres des soldats apparaissant en découpe sur la pierre. Le bourreau lève son épée. Il est prêt à recevoir l’homme de tête et tous ceux qui suivront jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Nous reculons. Don Juan de Tolède veut rejoindre son père, se placer à ses côtés. Je l’en empêche, avec force.
— Choisir sa mort , c’est donner sens à sa vie. Partons. C’est ce qu’il veut. Allez ! Venez ! dis-je en serrant le bras de mon compagnon. Derrière nous, la tuerie a commencé, sans un cri, sans un hurlement. Le tranchant a dû tomber net, fauchant l’éclaireur, on entend un corps chuter. C’est une quille qui bascule, entraînant les arrières à la renverse. L’épée se relève, elle va frapper encore tandis que la voix chevrotante du prêtre prend étonnamment plus d’assurance et monte toujours plus haut.
Elle
Le grappin est là. Nous pouvons descendre, les uns à la suite des autres.
Une fois que nous sommes tous réunis en bas, don Juan reste face à la tour.
— Venez, lui dis-je ! Partons !
— Il faut attendre, me dit-il, d’une voix blanche, celle d’un homme abattu.
— Quoi donc ?
— Elle.
Les autres sont partis rejoindre les chevaux. Je reste près de
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