Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
s’en fallut d’un cheveu qu’une balle partie trop vite mette tout en désordre. Aussi don Juan s’empressa-t-il de passer la tête à la fenêtre pour se faire reconnaître et empêcher une malheureuse initiative.
— Eh oui, mademoiselle, dit-il tout haut à notre groupe stupéfait, il faut soigner ses entrées et ses sorties – question de prestige, noblesse oblige.
Puis, tout bas il murmure à l’oreille de notre frondeuse ébahie ces mots qu’avec elle, je suis seul à entendre : — Eh bien ! Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous laisser arriver à dos de cheval comme une simple cavalière !
Ces mots dits, l’aventurier ouvre la portière du carrosse que nous sommes allés chercher chez l’habitant, il invite Margaux à monter à bord et là, il lui tend une robe, des plus somptueuses, en poursuivant : — Ce sont, je crois, également vos mesures. Elle vous ira à ravir. Là où elle est, là où elle va, madame Edwige de Bellerasse n’en aura plus guère l’utilité. Prenez-lui ce qu’elle avait de plus beau, elle vous en fait cadeau.
— Une robe…, dit Margaux, les yeux illuminés.
— Il ne vous manque plus qu’un bijou. Je tiens à vous le passer au cou, dit Amadéor en se défaisant de son pendentif et en l’accrochant à la nuque de la jeune femme.
— Adieu, belle Alouette, gentille Alouette, Alouette sauvage, Alouette des bois, dit le don Juan en tendant la robe pour que la frondeuse la pose sur elle, puis en lui présentant son reflet dans un miroir, il poursuit : Voyez vous-même ce que vous êtes devenue : un oiseau de paradis.
Chapitre cinq
Conversion, barrage et retour en grâce
« Notre voyage de retour peut enfin commencer. Nous sommes à deux heures de Paris, il est trois heures du matin environ. Nous préférons éviter les grands chemins et emprunter des voies détournées.
Edmond de Villefranche reste à cheval, tandis que Belles-Manières va conduire le carrosse.
Je prends place dans la voiture aux côtés d’Amadéor et de la fille de Son Éminence.
Je tiens en effet à lui poser quelques questions. Curiosité d’enquêteur.
Pour l’heure Margaux reste l’Alouette, la métamorphose ne s’accomplira qu’à l’heure des présentations.
Ces demandes que je souhaite adresser à celle qui fut la protégée de Lanteaume, je crois pouvoir dire que ce sont aussi les vôtres, Majesté.
Comment a-t-elle découvert sa véritable identité ? Ses ravisseurs ont-ils été les premiers à tout lui révéler ?
Non. Ils n’ont fait qu’apporter confirmation.
En réalité, c’est devant la tombe de l’inconnu, dans le bois du roi Jean que l’éblouissement se fit dans son esprit, que les pièces du jeu de patience s’assemblèrent soudain, que l’incroyable vérité lui apparut. »
Aparté
Ce que d’Artagnan va apprendre à Sa Majesté le roi Louis XIV, nous le savons déjà pour une bonne part. Oui, ce que monsieur Philippe de La Veyre révéla à la frondeuse en lui murmurant quelques mots confidentiels au creux de l’oreille, ce n’est rien d’autre que ce secret de Mazarin et de Desdémone, ce secret que d’Artagnan aurait mille fois préféré ne pas entendre, ce secret dont la Cabale ne sut longtemps que faire : le cardinal et l’empoisonneuse étaient parents d’une fille cachée dans Paris. Mazarin ne découvrira son nom et son visage qu’après le trépas – imminent – de l’Italienne.
La révélation faite, l’intrigant offrit alors à Margaux de jouer – comme cela fut préalablement convenu avec monsieur Fargis – le rôle de la doublure, de porter le poignard au cœur, d’emporter l’or et les honneurs.
Mais cela Margaux ne pouvait l’accepter. Écoutons plutôt… en rendant la parole à notre jolie frondeuse :
La lettre
« “…. Ce jour-là, je portais une lettre avec moi. Cette lettre, une femme – italienne – était venue me la remettre trois jours plus tôt, au nom de feue ma mère, une mère que je n’avais jamais connue.
Cette lettre vous dira tout , m’a-t-elle dit, mais respectez la dernière volonté de celle qui vous a mise au monde, ne l’ouvrez pas avant la date anniversaire de votre naissance.
Ces correspondances étaient trop flagrantes.
Je fis aussitôt le rapport avec le récit qu’on venait de me faire… nul doute, je le sentis alors de plus profond de mon être : ma mère n’était pas morte. Cette Italienne m’avait menti. Ma mère, c’était elle et moi, aveugle et
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