Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
sourde, je n’avais rien vu, je n’avais rien compris. Oui, cette femme ne pouvait qu’être cette Desdémone. Ce que me proposait cet intrigant sans le savoir, ce n’était donc pas de jouer le rôle d’une doublure mais de commettre un parricide.
Ce rendez-vous devant la tombe de l’inconnu, les coups de feu qui suivirent, la désillusion qui se lie à l’impitoyable révélation : c’est mon chemin de Damas.
Je suis restée longtemps inconsciente, mais en ouvrant les yeux, il me semblait que je me trouvais au beau milieu d’un champ de ruines : toute ma vie passée, mes certitudes, mes combats, mes espérances, tombèrent en poussière.
Cette lettre j’ai refusé de l’ouvrir sur-le-champ.
Je craignais trop qu’elle ne confirme ce qui ne pouvait être une coïncidence.
Pourtant, que faire ?
Alors que vous veniez de quitter ma tente, dit-elle à don Juan de Tolède, après m’avoir aidée à revenir à la vie, j’ai décidé de briser le cachet du secret, de trahir ma promesse. J’ai déchiré l’enveloppe et j’ai lu. Tout ce que je redoutais était là, noir sur blanc.
Je suis allée voir Lanteaume, je lui ai tout avoué. Je lui ai dit : Je suis la fille de l’homme que tu vas tuer. Je viens de l’apprendre. Lis, insistai-je encore en lui remettant la lettre.
Sur le moment, Lanteaume n’a rien voulu croire. Puis, enfin convaincu, il m’a regardé fixement et il m’a demandé de choisir entre lui ou le Diable rouge , de trancher ce nœud tragique.
Il est trop tard , m’a-t-il dit. J’ai donné ma parole, j’ai signé. Un Lanteaume ne revient jamais sur ses engagements. J’irai au bout. Je tuerai Mazarin, que cela te plaise ou non.
J’étais désemparée. Lanteaume n’avait plus le choix. Il m’a constituée prisonnière.
Et si je veux fuir ? ai-je demandé. Que feras-tu, tu me tueras ?
Lanteaume a sorti son pistolet, il m’a mise en joue en relevant le chien, et il m’a répondu : N’en doute pas. Ses hommes étaient stupéfaits – on le serait à moins – mais personne ne s’opposa. Tout le monde restait derrière lui. Nul ne songea à renier son dieu. S’ils devaient se retourner contre moi, ils le feraient sans discuter, sans chercher à comprendre, par loyauté.
— Le don Juan, ai-je demandé à Lanteaume alors qu’on me liait les mains et les pieds, où est-il ?
— Ne compte pas sur lui pour te sortir de là. Lui aussi, je viens d’apprendre qui il était, sous son masque. Son Éminence m’encercle ! De l’air ! Oui, c’était un agent du cardinal.
— C’était ?
— Main-gauche vient de le tuer. Je lui en avais donné l’ordre.
Main-gauche
Dans la nuit, un messager est venu au camp. La bande de Lanteaume venait de recevoir l’ordre qu’elle attendait. On allait passer à l’attaque et je ne pouvais l’empêcher. Le lendemain Lanteaume chargea Main-gauche de me conduire au couvent, chez sa cousine.
Évidemment, là-bas, une fois seule, je pouvais parler, dénoncer le complot mais Lanteaume avait tout prévu. Main-gauche, m’a-t-il dit, ne participera pas à l’attentat. Il restera à veiller aux alentours de ta cellule.
S’il devait apprendre que nous avons échoué, que nous avons été pris, c’est que tu nous auras dénoncés, en prévenant les sœurs. Alors Main-gauche fera ce qu’il faut, il ira dans le couvent et il en choisira une, au hasard, jeune de préférence, et il la tuera devant tes yeux. C’est la consigne que je lui ai donnée. Tu connais Main-gauche, aucune religion, aucun état d’âme, s’il faut assassiner, homme, femme ou enfant, si je le lui demande, si je lui lâche la main, il le fera.
Alors Main-gauche m’a emmenée.
J’ai essayé de l’amadouer, et mon gardien s’est mépris, il a cru à ses rêves, il m’a fait sa demande, la main accrochée à son poignard, maladroit, les yeux rouges, la voix tremblante : Veux-tu partir avec moi ? Veux-tu m’aimer ? Je ne te le demanderai pas deux fois.
En d’autres circonstances, sa déclaration m’aurait peut-être attendrie. Que j’étais sotte et naïve de croire qu’il ne songeait qu’à ma protection, à mon bonheur, qu’il me regardait encore comme une sœur !
Hélas, j’étais si éprouvée que je ne parvins pas à dissimuler. Je ne songeai pas un instant à me servir de lui, de ses sentiments à mon égard, pour obtenir ma libération.
Il tomba le masque et je le vis sans œillère, à nu : rongé par l’envie, dévoré de cupidité,
Weitere Kostenlose Bücher