Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
ou…
— … Ou, ma foi, je tire une première mouche de plomb dans la tête du maître, puis la seconde sur l’un de ces cavaliers pris au hasard. Certes, je ne vais pas menacer madame, une si jolie et si jeune personne comme prise en otage dans ce véhicule où elle semble si peu à sa place. Je m’offre d’ailleurs, grand seigneur, de faire du brigand un libérateur, ne concevant pas qu’auprès de ce triste sire qui la tient serrée contre lui, comme pour la contraindre et la garder de toute révolte, elle puisse être autre chose qu’une prisonnière.
— La belle doit étouffer le cri de son cœur, dit Fortunio. Je le sens bien, car je viens d’arriver à mon tour, par l’autre côté, afin de tendre mon chapeau pour l’aumône.
— J’ai les mains prises, ne l’oublions pas, par ces pistolets, ajoute l’aventurier.
— Oui, cette liberté à laquelle il faut renoncer de mauvaise grâce, offre un instant ses tentations. L’air est pur… Les brigands sont audacieux. Il n’y a qu’à ouvrir cette portière et se livrer aux bras de ces nouveaux Castor et Pollux. La main se pose sur la poignée, mais la raison est plus forte. Le rêve est dompté. Plutôt que de rompre ses chaînes, la captive se délivre de ses ornements, bagues et bijoux.
— Monsieur doit suivre l’exemple et nous céder sa bourse. Les cavaliers, de même, sont priés de se défaire de leurs émoluments qu’ils portent à la ceinture.
— Nous desellons les chevaux, nous dispersons les armes et nous saluons les voyageurs.
— Je vois, dis-je, ainsi cet homme disait vrai.
L’aventurier vole au secours des gibiers de potence
— La coïncidence, poursuit le don Juan, fit qu’il se représenta sur notre route. Je ne suis pas du genre à me dérober. Plutôt que de lui tourner le dos, je trouvai plus agréable d’aller le narguer à sa fenêtre. Mais attendez, nous sommes passés du début à la fin sans parler du milieu…
— Nous voilà remis en fond, dit Fortunio. Mais la bonne humeur de maître Jean s’obscurcit soudain. Un nuage passe devant ses yeux.
L’aventurier m’explique :
— Une procession s’avance au loin. Le bourreau marche en tête. Derrière lui deux prisonniers enchaînés sont dirigés, par quatre gardes de la prévôté, vers le mât d’une potence.
— Si cela n’avait tenu qu’à moi, avouons-le, j’aurais tiré mes guêtres au plus vite. Mais cet homme, me dit Fortunio en désignant son complice, ne veut pas manquer l’occasion de briller encore.
— Cela fera une belle page dans ton répertoire, lui répond l’aventurier. Elle me réhabilitera. On y verra le fond de mon cœur, ma bonté d’âme.
— Sans elle, nous aurions peut-être pu conserver notre prise de guerre.
— Rien ne nous appartient, Fortunio. L’argent est rond, il faut qu’il roule. J’arme le chien d’un pistolet…
— Et il reprend son masque… se souvient Fortunio.
— Cette fois, poursuit l’aventurier don Juan de Tolède, je viens calmement, la tête basse, le bras sous le manteau. Nos gens de la prévôté s’imaginent sans doute qu’arrivant dans les parages au moment crucial, je veux applaudir la punition au plus près. On me demande néanmoins de conserver mes distances. Mais je suis désobéissant, et je passe outre en sortant au grand jour le canon de mon pistolet d’arçon. Alerte. Je menace le bourreau, Posez les armes et pied à terre , dis-je aux autres. On s’interroge… qui suis-je ?Le complice de ces condamnés ? Savez-vous ce que vous faites ? Ces deux là, me dit-on, ont pactisé avec Lucifer et Belzébuth… Ils sont coupables d’infamies : magie noire et maléfices, sacrifices et sortilèges !
La jeune femme a des yeux couleur d’eau et des cheveux rouges : la beauté du diable. L’autre est un peu plus jeune. Il aurait vendu son âme pour goûter aux charmes de cette malfaisante, ainsi qu’au fruit corrompu de la connaissance.
Ces deux agents du démon retrouvent donc leur liberté et les gardiens de l’ordre sont contraints de rebrousser chemin.
— Il ne vous dit pas tout, reprend Fortunio. Non content de sauver la vie de ces sorciers, il leur fait la charité.
— … Je ne peux leur enlever cette corde au cou pour les laisser mourir de faim. De toutes les façons, ce qui n’eût point été donné aurait été perdu, car quelques instants plus tard…
— Nous sommes encerclés, explique Fortunio. Devant nous, une armée de cavaliers ceinture les débouchés.
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