Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
pour un sot ? Vous lâcher mon nom, pour qu’il soit, après l’incident du moment, répété à tous les échos, qu’il devienne le jouet des ivrognes et des putains du faubourg, qu’il traîne dans la rue, qu’on le roule dans la boue, qu’on lecouvre de sarcasmes et de plaisanteries gauloises ! Allons, monsieur, je ne sais qui vous couvre et de quelle autorité vous dépendez, mais cela ne vous gardera pas toujours de ma riposte ! Aussi, rassurez-vous –mais alors il sera trop tard pour faire amende honorable – vous ne tarderez pas à savoir quel homme vous avez insulté en protégeant ce brigand ! Serviteur.
Sur ces mots, la main du maître tape contre la portière. Le cocher fait claquer son fouet et l’individu reprend sa route.
Pendant tout ce temps, profitant d’avoir été sur place pour se rendre utile, le guet, avant de poursuivre sa ronde, s’est dirigé vers l’estrade des comédiens. Les bateleurs sont priés de plier leurs tréteaux, de vider les lieux. Ce lieu de rassemblement n’est pas une esplanade faite pour le rire. Ici la coutume, faisant office de loi, veut sans doute que la tête d’affiche, sacrifiée à la fin de la représentation, ne puisse se relever d’entre les morts pour saluer son public.
La troupe fait contre mauvaise fortune riant visage. Car la foule vient de s’éparpiller sans avoir pu récompenser d’une bonne pièce d’argent le travail des artistes. Celui que tous s’apprêtaient à porter en triomphe s’approche pour nous saluer, moi et le mystérieux cavalier.
Le menteur devient Molière
— La chute promettait pourtant d’être bonne, dit-il. Allez, c’est égal, mon menteur n’est pas celui de monsieur Corneille, il n’aura pas eu le dernier mot.
— Et j’en suis désolé pour lui, dit le cavalier.
— Le canevas de l’intrigue, répond le comédien, ayant été conçu à la dernière minute, nous devions nous attendre à composer avec les imprévus. Ainsi va la vie : d’imposture en comédie, de rebond en coup de théâtre.
— Mais au juste, demande le cavalier, que devient votre menteur à la fin ? J’ose espérer que vous lui auriez épargné une issue tragique, que vous ne vous seriez pas laissé séduire par la situation pour le conduire en Grève…
— Oh non. Je ne suis pas taillé, hélas, pour ces dénouements solennels. Je n’ai pas les épaules assez larges, le drame est ce qu’il y a de plus beau et de plus grand, mais je ne suis qu’un trublion et j’aime tant faire le pitre !
Le cavalier prend un air grave.
— Le génie se mêle de tout. C’est un provocateur, il se rit des Écoles et des Traditions. À votre tour de les bousculer, et ne craignez pas la canne de ces vieillards. Faites monter les pieux hypocrites et les docteurs à lunettes sur l’échafaud. Que votre rire, l’arme de votre intelligence, les fauche sans reprise, et les jette dans la corbeille comme un seul homme !
— Ah, monsieur, répond le comédien, fort ému, vos paroles sont rudes, mais elles me parlent.
— Mais votre menteur ?
— Eh bien, justement, tombant le masque, notre menteur décide de mettre ses talents à profit. Il changera d’emploi tous les jours, évitant ainsi la routine, et pourrait même gagner son pain à la sueur de son front. Oui, après avoir quitté sa femme, il épousera le théâtre et se fera comédien.
— Bravo, en effet, vous êtes faits l’un pour l’autre. Comment vous nommez-vous ?
— Jean-Baptiste Poquelin.
— Monsieur Poquelin, vous irez loin et vous ferez parler de vous, mais sous un autre nom. Un nom de plume… L’esprit de l’homme monte plus haut quand il est porté par l’aile d’un oiseau. Il vous faut quelque chose de court et de sonnant, qui en impose. Tenez, il me vient du Ciel, je vous le tends, je ne suis que son messager, vous serez son interprète. N’en cherchez pas d’autres. Celui-là, Jean-Baptiste, vous baptise auteur et comédien, enfant des muses et danseur de cordes. Oubliez Poquelin, laissez-le aux ancêtres, et soyez Molière pour la postérité.
— Molière, c’est entendu, j’accepte. Monsieur, la recette est maigre mais fi de l’avarice, je dois vous payer à boire.
— Avec joie, dans ce cas, je vous donne rendez-vous à la taverne de la Tour d’Auvergne , rue de l’Ours. Nous boirons, je jouerai et je paierai, j’y tiens. Avec l’étoile que vous avez, vous me porterez chance.
Le comédien nous salue.
— Parfait. À plus tard, messieurs.
En se
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