Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
il n’existe aucun homme, si grand soit-il, qui ne porte ses fautes, ses erreurs, et parfois ses crimes… Mais combien sont-ils, ceux qui osent les avouer ? Sans pudeur ? Sans omission ? Sans détourner le regard ? Peu, bien peu.
D’Artagnan ne veut pas laisser le roi s’emplir de tristesse. Il doit aider le jeune Louis XIV à traverser les épreuves du temps présent en ramenant la joie, l’espérance. Pour autant, le chevalier a d’ailleurs prévenu son interlocuteur, il n’est pas question de truquer la réalité, d’arranger les faits, d’idéaliser les caractères. Et nous lui donnons raison : rien n’est aussi beau, aussi éloquent, aussi riche d’enseignements que la Vérité.
En quelques mots, le chevalier fait revenir la lumière, le récit se poursuit :
« Soudain, don Juan de Tolède se met à l’arrêt. Il relève la tête, son regard s’est rallumé, le timbre de sa voix est redevenu clair et sonore :
— Monsieur d’Artagnan, me dit-il, l’univers nous écoute, il nous voit et nous fait signe. Nous sommes dans la main de Dieu. Voyez ce carrosse, au trois heures de l’horloge, à cent pas, c’est le sien. Et cette femme que l’on aperçoit à la fenêtre, c’est elle. N’est-elle pas majestueuse dans son habit de satin ?
— Puissance de l’illusion, soupire Fortunio.
— Rendons grâce à cet astre tombé du ciel, reprend le cavalier blanc. Allons, Fortunio, découvre-toi, la tête haute et le sourireaux lèvres. Il est trop tard pour rebrousser chemin, tu es dorénavant le serviteur de mon caprice, l’allié de ma folie. Je ne veux plus de ta mauvaise mine ni de tes paroles amères. De l’éclat, de la lumière ! Pas une ombre, entends-tu, avant le tomber de rideau.
Les deux hommes retrouvent leur complicité.
Pendant un instant, ils m’oublient.
— Que faisons-nous ? demande Fortunio. Faut-il l’approcher ?
— C’est bien certain, tu seras la joie ? demande don Juan. Tu ne me trahiras pas ?
L’autre s’incline, avant de rétorquer :
— Vous pouvez répondre de moi. J’ai vidé mon sac et désormais vogue la galère ! Je me ferai l’écho de votre voix.
— J’aime te l’entendre dire… Ah, s’exclame le séducteur, en désignant un cortège ambulant faisant son entrée sur l’avenue, des bateleurs, du rire, de la grimace, la fête continue ! »
Chapitre cinq
L’amour du théâtre sème le trouble dans Paris
Une annonce formidable
— Encore de la comédie ! Encore du spectacle ! s’exclame le roi. Je m’en réjouis !
— Oui, Votre Majesté, continue d’Artagnan. Mais cette fois, la pièce ne se jouera pas dehors. Ces comédiens font la réclame. Mais décrivons ce que nous avons sous les yeux…
— Volontiers, chevalier ! Volontiers ! La vie aux jours de fêtes est si belle, et Paris est si merveilleux quand le populaire sort de chez lui, que les gens se rassemblent autour d’une estrade ou d’un batteur de foire !
Le chevalier d’Artagnan, en effet, se voit projeté en plein tumulte. Il retrouve la folle animation, l’agitation croissante qui envahit les rues ce jour-là, peu avant midi. Tout n’est que mouvement, bruit, charivari, couleur, danse et fanfare !
« En tenues chamarrées, reprend le narrateur, le masque au visage, la face peinturlurée, battant le tambour, jouant du pipeau ou de la guitare, les farceurs font force bruit, semant un désordre joyeux et comique sur leur passage.
Ils sont menés par des célébrités du temps : maître Hugues Guérin, dit Fléchelle , dit Gauthier Garguilles , messire Robert Guérin, dit La fleur , dit Gros-Guillaume , ou encore monsieur Henri Legrand, dit Belleville, dit Turlupin . Tout est bon pour se faireremarquer, on se hisse aux balcons, on prend pied sur les perrons, on interpelle la presse du haut de sa tribune. Diable… si on le pouvait et si l’Église décidait soudain de parrainer la comédie au lieu de l’interdire, on ferait sonner en chœur les carillons de tous les clochers de Paris, jusqu’aux bourdons de Notre-Dame.
Il faut surmonter la clameur générale, parler plus haut que les vendeurs ambulants et les crieurs publics, en répétant la bonne nouvelle :
Venez donc tous les curieux
Venez apporter votre trogne
Dedans l’hôtel de Bourgogne
Venez en foule : apportez-nous
Dans le parterre quinze sols
Cent dix dans les galeries.
Une turlupinade, une pantalonnade ouvrira les festivités. De la gaieté d’abord, des lettres, de l’émotion, du
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