Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Je viens le prendre dans mes bras, je baisse le masque. Il sourit. Il me semblait bien …, me dit-il. Je trouvais ce cardinal trop vaillant pour être vrai.
Il est mort sur ces mots, avec ce sourire, contre moi. Son sang s’est mêlé à ma pourpre, j’ai dû l’abandonner là, en le poussant derrière une tenture, et rabattre ma cape pour cacher cette tache sur ma robe.
Oui, chevalier, tuer Fortunio est sans doute la chose la plus regrettable que j’aie pu faire. Je l’aimais. Comme un frère. Et je ne songe pas même à lui en vouloir. Il restera pour moi l’innocent et le pur qu’il fut en apparence. Je ne doute pas que ses employeurs, ces dignités de Rome manifestement en querelle secrète contre Son Éminence, n’aient formé cette arme en jouant sur ses sentiments, un usant de son cœur, en déformant son jugement.
Fortunio devait donc se rendre à Paris à mes côtés pour tuer le cardinal. Comment et quand tout cela a commencé ? Je l’ignore et nous ne le saurons jamais. La véritable histoire de Fortuniorestera un mystère. Avant de le quitter, de rejoindre ce carrosse, la mort dans l’âme, les larmes aux yeux, je n’ai pu m’empêcher de porter la main à son pourpoint. Non pour le dévaliser, mais pour le fouiller, réflexe d’agent. J’espérais trouver un billet, un message codé, quelque chose qui l’eût relié à ses sources. Oui, je découvris un parchemin plié en quatre. Mais ce morceau d’écriture, c’est le poète qui l’avait rédigé, le faiseur de chansons, l’ami fidèle et dévoué, l’habile traducteur. Je découvris sa dernière production, fraîchement tachée de son sang. Une commande enfin réalisée que je lui passai en arrivant aux abords de la Ville, peu avant de vous rencontrer. Cette chanson, ce poème, c’est mon épitaphe, mon éloge funèbre.” »
— Ainsi, dit le roi éprouvé, Fortunio le poète était un traître, un assassin ! Et don Juan en le tuant sauva la vie de Son Éminence ! Cette histoire est aussi belle qu’elle est sombre, chevalier. Hélas, il faut donc se méfier de tous, n’avoir confiance en personne !
— Au contraire, il faut avoir confiance, la confiance est noble et généreuse, le soupçon étroit et borné. Vivre dans la peur, c’est vivre dans l’ombre. Attelez à votre char d’or et de lumière ces vertus princières sans lesquelles il ne pourrait se mouvoir, la confiance, le pardon, la tolérance, le courage…
— Voilà qui est sagement parlé, monsieur.
« Maintenant, Sire, revenons à la Bastille. En vérité si don Juan de Tolède est venu à la Bastille libérer Lanteaume, au mépris des conséquences, ce n’est pas tant par amour pour l’Alouette ni dans l’espérance irréaliste de retrouver un document mis au secret, la liste des conjurés, mais pour exorciser le passé. Je le devine et je fais parler l’aventurier, démasqué. Oui, la chute de Lanteaume lui évoque trop violemment le souvenir de son ancien mentor déchu, Henri de Maisonneuve. De vieilles blessures se rouvrent.
Il n’a pu sauver l’un, il voulut tout tenter pour secourir le second, empêcher la récidive. Mais il ne pouvait se douter de la pertinence, de la justesse, du rapprochement qu’il établissait entre les deux hommes, parias tous deux, héros déclassés, épées brisés par la vindicte des maîtres.
Don Juan me prie de m’asseoir. Puisque je l’ai percé à jour, il consent à me raconter ce qu’il ne pourrait partager avec nul autre. Il me retranscrit tous les faits, depuis son arrivée dans la cour de la prison. Comme il l’augurait, les armoiries peintes aux portières du carrosse, l’escorte accompagnant, suffisent à prévenir la garde. Sonnent les cloches ! Que l’on avertisse les autorités, qu’on lève les grilles et que l’on ouvre les portes, voici venir Son Éminence. L’aventurier espère ne pas avoir à descendre de voiture. Si l’on comprendrait – cela se fit, cela se fait encore – qu’un prisonnier de qualité doive conserver secrète son identité, on ne pourrait manquer d’être surpris de voir paraître le cardinal un masque au visage.
Don Juan profite de l’ombre qui l’abrite dans la cabine de la voiture, de la protection d’un rideau, pour en montrer le moins possible : sa main gantée, portant le sceau, puis la demande de libération du prisonnier, signée de sa main.
Souffrante, et peut-être contagieuse, Son Éminence préfère demeurer à l’abri plutôt que
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