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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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hérissés de grec et de latin pour avoir une chance, plus tard, de faire entendre ma voix. Au début, tout m’écœurait, me révulsait, je faisais semblant, je m’efforçais, doué pour le mimétisme, de leur ressembler. Et puis, insidieusement, leur esprit a déteint sur le mien, jusqu’à le capturer.
     
    Janisse de La Ravoie revient à sa fenêtre, il tourne le dos au comédien, et va au bout de sa pensée :
    — J’ai une offre à vous faire. Vous venez du rire, de la rue, vous l’avez dit. Personne ne vous reprochera de poursuivre vos caricatures, vos portraits, vos charges, à de plus hauts degrés, avec plus de moyens, nul ne s’étonnera de vous voir aller de l’interprétation à l’écriture. Bénéficiez de mes relations, de mes appuis. À vous la fortune et la gloire. J’écrirai les pièces, nous pourrons en discuter ensemble, j’accueillerai vos idées, j’écrirai les pièces, dis-je et vous les signerez. Molière ! Formidable trouvaille ! Je saurai défendre la nouveauté, en faire l’éloge, en revanche, gardien du bon ton, de la décence, je ne puis en être l’interprète. Je ne peux cracher dans la soupe sans être crucifié. Comprenez-vous ?
    — Je comprends parfaitement, oui.
    — Eh bien, qu’en pensez-vous ?
    Molière se lève, il pose son verre sur le bureau de monsieur Philémon Janisse de La Ravoie. Il ouvre sa cape, il tient un cahier à la main.
    — Avant toute chose, je crois que le moment est venu de vous donner la raison de ma présence.
    — Bien sûr, pardonnez-moi. Je vous en prie.
    — Eh bien voilà. Votre discours est d’actualité, car je viens justement de prendre la plume. J’ai là, avec moi, une première pièce. Cela se nomme Paragon l’hypocrite ou le Critique imposteur . Vous m’avez inspiré, je ne le cache pas, la création de ce savant en us qui donne son titre à la pièce et toute sa saveur à ce morceau de bravoure. Ah, c’est une jolie farce, je crois ! J’ose prétendre que mon beau sujet est plus vrai que nature. Et je tiens à lui donner vie, personnellement, je l’incarnerai, je ferai naître ces rires qui vous seront destinés. Pourtant, j’ai bien réfléchi, et ce n’est pas à Paris que j’irai la jouer. C’est vrai, je suis ambitieux, car je me fais une haute idée de ma profession. Une bohémienne m’a prédit l’incontournable labeur, l’inévitable patience… Va pour la province, le pain de douleur, la roulotte, les pierres en chemin . Je choisis la liberté et la difficulté qui l’accompagne. Et vous verrez, à mon retour, comme la récompense valait le déplacement, comme le renoncement prépara la moisson du lendemain. Je vous salue, monsieur.
    Molière se lève.
    Mais Janisse de La Ravoie lui barre le passage, il a saisi une canne posée près de la cheminée.
    — Que voulez-vous faire, demande Molière, me donner les étrivières, comme à votre laquais ?
    Mais la canne est une canne-épée. Janisse de La Ravoie sort la lame du fourreau et en menace Molière.
    — Donnez-moi votre manuscrit !
    — Vous voulez vous en inspirer, peut-être ? La faire signer par un autre imposteur ?
    — Donnez !
    La mort dans l’âme, Molière est contraint d’obéir.
    — Qu’allez-vous en faire ? demande le comédien.
    Janisse répond en laissant le manuscrit tomber au feu.
    — Des cendres, dit le critique.
    — Eh bien, soit ! dit Molière, j’en écrirai une autre, et puis encore une autre, s’il le faut ! Et quoi que vous fassiez pour l’empêcher, mon Hypocrite finira bien par voir le jour ! Vous le savezbien, les hypocrites parviennent toujours à leurs fins ! Régalez-vous du spectacle de ces pages brûlant à côté des vôtres ! Narcisse s’enivrait de son image se reflétant sur l’onde, la vôtre est prisonnière de ce feu, ce feu qui ne s’enflamme que pour détruire ! Que Dieu vous prenne en pitié, monsieur, dit Molière en partant. Je n’envie pas votre sort.
    Troisième visite
    Dès que Molière a franchi sa porte, monsieur Philémon Janisse de La Ravoie s’empresse de poser sa canne-épée, de saisir les pinces de fer qui se trouvent contre sa cheminée, et d’aller sauver ce qui n’a pas encore brûlé. Mais il reste peu de chose de Paragon l’Hypocrite ou le Critique imposteur.
    Janisse de La Ravoie pose soigneusement cette ruine de papier sur le marbre d’une console. Il regarde ses mains, le bout de ses doigts, noir comme du charbon.
    Puis son regard revient vers le manuscrit encore fumant.

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