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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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bourdonnement des mouches.
    Ce nom, il avait bien fallu le changer en désertant pour Paris ce toit sans avenir, le gîte d’une humble demeure, en Basse-Normandie, pays des vaches, noyé sous la pluie. Quelle délivrance pour lui quand l’idéaliste quitta le tablier sanglant du père, son couteau d’équarisseur toujours coincé à la ceinture, sa face marbrée de rouge, confite dans le cidre et le vin, ses mains lourdes etgrasses. Quel soulagement de fuir cette nichée de frères et sœurs, troupeau docile vagissant dans l’enclos, cette mère soumise et tremblante sous l’autorité du maître, vieille avant l’âge !
    Philémon Janisse de La Ravoie avait économisé sou par sou, jour après jour, un petit pécule afin de changer sa pauvre tenue pour un habit neuf en arrivant en terre d’asile.
    Un père jésuite, de passage dans sa province, l’ayant autrefois distingué au milieu des siens, noua aussitôt des liens de sympathie avec le jeune homme. Il éveilla sa curiosité, lui prêta des livres, orienta ses lectures, lui parla de Paris, lui donna une adresse où frapper. La porte s’était ouverte et l’ascension fut rapide.
    Et puis, il y eut la découverte de l’amour, de l’amour et de la jalousie.
    Janisse de La Ravoie revoit le visage de cette femme qu’il a tant aimée, aimée jusqu’à en perdre la raison, jusqu’à commettre l’irréparable.
    Le critique ferme les yeux, il essaie d’oublier toute cette affreuse histoire.
    Derrière lui, en petite tenue, Chimène poursuit sa lecture. C’est une chance que monsieur Philémon Janisse de La Ravoie ne se soit pas retourné un instant plus tôt, il eût alors vu la comédienne étouffer un bâillement dans sa main. Insulte suprême.
    — Alors, qu’en pensez-vous ?
    — Il me reste un dernier acte à lire.
    — Certes, mais vos impressions premières, sur le vif, à chaud…
    — Votre plume est bien taillée, les sentiments sont si justement exprimés.
    — Et l’intrigue ?
    — Mais l’intrigue me plaît.
    Comme il aimerait y croire. Mais c’est juste, monsieur Janisse de La Ravoie a une bonne oreille.
    — Vous êtes meilleure comédienne quand vous jouez Corneille. N’ayez pas peur de me blesser, je veux entendre la vérité.
    — La vérité, mais je viens de vous la dire…
    — Vous avez peur de me froisser et de voir tous vos rêves disparaître en fumée. Eh bien, je vais vous aider à parler sans enveloppe. Ne comptez plus sur moi pour faire votre fortune, il n’y aura pas d’autres nuits, il n’y aura pas de recommandations, je vous lâche, vous êtes libre.
    La comédienne se demande si l’homme est sincère.
    Monsieur Philémon Janisse de La Ravoie quitte la pièce.
    — Où allez-vous ? demande la comédienne.
    Le critique ne répond pas sur-le-champ. Il revient en portant dans ses bras les habits de sa douce amie. Cette toilette de luxe qu’il lui a offert et qui lui va si bien. Il jette le paquet aux pieds de sa maîtresse et s’explique enfin :
    — Je vous rends votre déguisement.
    Il est donc sincère. Hélas.
    Chimène n’a donc plus de raisons de ne pas l’être à son tour.
    Pour commencer, elle se rhabille. Une fois qu’elle a noué le cordon de sa cape, elle saisit le manuscrit qu’elle rend à son propriétaire.
    — Le fond de ma pensée, le voici… vous ne savez pas aimer. Votre cœur est froid comme la chaîne d’un puits. Le pire est chez vous ce qu’il y a de mieux. Le critique a tout pris. Pour le reste, l’amant vaut l’auteur. Adieu, monsieur.
    Première visite
    Le manuscrit Artémise ou le Mausolée d’Halicarnasse est donc jeté au feu.
    D’autres vont le rejoindre.
    La Prêtresse de Thauride, Le Tombeau de Tarquinia, puis Acardius et Eudoxie sont également livrés à la fournaise. Grande perte pour le patrimoine que ces chefs-d’œuvre du temps, réduits en cendres dans le bûcher des vanités avant même d’avoir pu tomber dans l’oubli.
    Monsieur Philémon Janisse de La Ravoie contemple le travail de destruction accompli par les flammes. Au fond, tout cela le laisse froid. Ce critique rêve de terres inexplorées. Les conquistadors ouvrent la voie, mais c’est encore du pathos. Il faudrait avoir le courage de ne plus écrire le nom de l’homme en lettres majuscules, de le peindre d’après nature. Mais qui serait assez fou pour faire monter son public sur l’estrade et lui faire jouer sa comédie de tous les jours ? Pointer son doigt sur cette verrue plâtrée sous des

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