Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Janisse de La Ravoie ne peut s’empêcher d’y penser…
En sera-t-il ainsi de lui ?
Partira-t-il en fumée ?
Disparaîtra-t-il dans les flammes ?
Après l’avoir soigneusement nettoyé, avec une petite brosse, le critique va ranger la dépouille de cette œuvre dont il ne reste que quelques fragments, pour la plupart illisibles, au fond d’un tiroir fermé à clef.
Après quoi, il va se servir un verre. Puis un autre. Et encore un dernier.
Sa tête le brûle. Il se sent oppressé. Il songe à s’allonger et peut-être à vider le reste de la bouteille, mais il lui faut de l’air, à tout prix.
Janisse de La Ravoie retourne donc à sa fenêtre.
Il l’ouvre et respire à pleins poumons, en fermant les yeux.
Quand il les ouvre, il se recule d’un petit pas.
Le propriétaire de ce magnifique carrosse rangé en face de son logis serait-il venu le rencontrer ?
Cela ne peut-être que la voiture d’un puissant seigneur, d’un très puissant seigneur.
La portière vient de s’ouvrir.
En effet, le passager qui en sort se dirige vers sa porte.
Janisse de La Ravoie reboutonne son col, passe sa main dans ses cheveux, essuie la sueur perlant à son front avec un mouchoir de batiste, recompose les traits de son visage, croque une dragée à la menthe… Il se précipite à son bureau, ouvre un nouveau tiroir. Il en reste encore deux, deux œuvres dont on pourrait peut-être tirer quelque chose, et pourquoi pas un succès ? Janisse de La Ravoie les dispose sur sa console, à portée de main, avec une négligence calculée… qui sait.
Le critique regarde son visage dans le miroir.
Il n’a pas dormi, mais grâce à Dieu, cela ne se voit pas trop. Il sourit, pour s’exercer. Bien, il est prêt.
On frappe.
— Entrez, je vous en prie.
Retour au monde
Philippe de La Veyre devrait être heureux. Il ne l’est pas.
Pourtant, toutes ses dettes ont été effacées. Il va de nouveau pouvoir gaspiller à loisir, miser des fortunes, rassembler près de lui tous ses amis éparpillés, s’attacher autant d’affections nouvelles qu’il a reversé de pièces dans ses coffres.
Tout vient des femmes.
Il se souvient… Trois jours plus tôt…
Il ne lui restait que son nom, mais ce nom le fait encore entrer là où tant d’autres restent à la porte. Avec quelques invités de marque, il se rendait à une soirée costumée, la dernière peut-être où il pourra s’afficher, avant d’être percé par vingt lames à la fois, celles de ces mercenaires qu’auront engagés ses créanciers lassés de se laisser étourdir par la fumée des promesses.
Le soir même, il devient l’amant de l’hôtesse.
Une riche, très riche comtesse de quarante ans sonnés.
Le mari est absent. Pour quelques jours. Elle l’installe chez lui, remplit sa bourse pour se remplir, elle, de ses forces. Le marché est honnête. Comme si cela ne suffisait pas, Philippe de La Veyre joue avec ce qu’on lui donne.
Et il gagne. Il gagne comme jamais.
Il met à nu un gentilhomme qui pourrait lui ressembler, sinon au physique, du moins pour le reste : c’est aussi un esclave de ce maître capricieux, le Hasard, autrement nommé le démon du jeu.
La fortune du perdant passe dans la poche du vainqueur.
Philippe de La Veyre va faire ses adieux à sa maîtresse, lui rembourser sa mise de départ et lui baiser la main, en galant homme.
Mais en arrivant chez elle, il tombe sur le mari, qui comprend.
Et le mari, c’est justement ce joueur qu’il vient de ruiner.
— Il ne me restait que mon honneur, lui dit l’époux, ce dernier luxe, vous ne l’avez pas gagné, non, vous me l’avez arraché, vous me l’avez volé, nous sommes sur le pré , rendez-le-moi.
Il faut passer aux jardins, tirer le fer au petit matin, sans témoin.
Philippe de La Veyre va remporter un nouveau duel, tuer un nouvel adversaire.
Amère victoire, en vérité.
Le voilà riche à nouveau. Il faut fêter cela , disent les amis revenus. Ce soir, nous t’emmenons, ne discute pas, c’est toi qui régales.
Pour commencer une bonne soirée, rien de tel qu’une bonne pièce de théâtre. Une pièce à scandale, qui plus est. Cela ne se refuse pas. Philippe se laisse entraîner, comme une branche morte par l’eau du torrent.
Il entre donc dans l’hôtel de Desdémone, rue Saint-Sauveur, pour prendre place au milieu des autres spectateurs.
Desdémone… évidemment, ni le nom ni la réputation de cette femme ne lui sont
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