Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Renarde. La Renarde est la plus dangereuse, qu’on ne s’y trompe pas.
La Renarde, donc : Marie Aimé de Rohan, duchesse de Chevreuse, le Lion, François de Vendôme, duc de Beaufort, bientôtsurnommé le roi des Halles, et enfin le serpent : Jean-François Paul de Gondi, récemment nommé coadjuteur de Paris. Pour ce triumvirat, l’heure est au bilan. Et les bilans ne sont pas bons.
Paul de Gondi est le plus inquiet des trois.
Celui qui l’est le moins sera pourtant le plus sévèrement châtié, le plus promptement. Quant à la duchesse de Chevreuse, dont le charme n’est pas encore fané à maintenant quarante-trois ans, elle se montre philosophe.
Écoutons plutôt et prenons place à bord de cette voiture faisant forte impression dans les rues de Paris.
— Il faut chanter le Salve ! soupire le prêtre.
— Mon cher Gondi, dit Marie de Rohan, les conspirations sont comme les causes perdues, on ne s’y engage pas par soif de victoire, mais parce que c’est beau, excitant…
— Inutile ? demande son voisin le duc de Beaufort, en prenant la chose à la plaisanterie.
— Héroïque, sublime ! répond la duchesse. Voilà pourquoi vous en êtes, duc.
— C’est juste, confirme ce dernier, en bâillant dans sa main (ce fut une nuit trépidante).
— Combien de conjurations et combien de Brutus triomphant ? Terrassant le tyran ? Mais que d’éclat… Voyez tous ces morts passés à la postérité : Pison et Sénèque s’ouvrant les veines, Marie Stuart, Cinq-Mars et de Thou immenses sur l’échafaud, comme des dieux de chair sur leurs piédestaux ! Les grandes pages de l’histoire (elles ne la font pas avancer pour autant) sont écrites avec le sang des martyrs et ce sang prend la défense des condamnés, il éclabousse le triomphe des bourreaux. Le vainqueur est le perdant.
— Beau discours, duchesse, dit le coadjuteur. Vous êtes femme, membre de la maison de Lorraine, autant dire intouchable. Vous êtes certaine de garder votre tête. Un peu d’exil, un peu d’ennui, quelques amants, quelques lettres, un peu de repentance et vous voilà revenue sur le théâtre des intrigues.
— Vous prenez la chose trop au sérieux, Gondi, au tragique, en vérité, répond Marie de Rohan en déployant son éventail.
— Qui parle de martyrs ?
— Le martyre, l’abbé, c’est peut-être le prix à payer si vous tenez absolument à porter le chapeau rouge 1 , dit Beaufort en riant sans regarder son interlocuteur.
Le carrosse passe d’ailleurs, en cet instant, la porte Saint-Marcel. Le silence est de mise. Comment se douter qu’il y a si peu de temps, en cette rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, les morts tombaient drus comme mouche, que le sang trempait les pavés. Il faut y regarder de près pour apercevoir dans la pierre et le bois les cicatrices laissées par la bataille : des impacts de balles, des taches brunes s’écaillant au soleil.
S’il avait un cœur plus chrétien, monsieur Jean-François Paul de Gondi songerait naturellement à se signer sur ce chemin de croix, mais plutôt que de tourner ses pensées, pour un instant de compassion, vers les victimes de la tuerie, le coadjuteur souffre d’abord pour lui-même… par avance.
Sera-t-il offert en sacrifice ? Cette âme égoïstement imaginative ressent déjà la froideur des cercles de fer à ses poignets, l’étreinte du carcan. C’est à lui couper le souffle.
— Je ne redoute pas le dernier supplice, dit-il, mais plutôt la Bastille et peut-être la question … Cette fois, la reine ne nous protégera plus.
— Allons, dit Marie de Rohan, pourquoi nous montrer au grand jour, si nous devions craindre des représailles ? Le cardinal n’a pas un début de preuve pour nous inculper. Il est vivant, mais il est impuissant.
— Il y a pourtant ce document, dit Gondi. Nous n’aurions jamais dû le signer.
— Ce qui est fait est fait, répond la duchesse. Le complot est un tout : trahison, enlèvement, attentat, assassinat en sont les mots clés. Pas de conspiration sans lettre de pacte, c’est le Graal de toute cabale. Soyez sans crainte. Nous l’avons compris trop tard, Gaillusac était un âne parmi les singes, il a reçu autant de plombs qu’il en méritait, mais je doute qu’il ait été assez stupide pour ne pas mettre ce document sous les verrous d’une cachette connue de lui seul.
Gondi voit le duc de Beaufort s’assoupir. Ce rustre va bientôt ronfler.
— Mais vous, Beaufort, vous ne semblez guère
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