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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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fourreau.
    Janisse a manqué de s’évanouir. Il reprend haleine.
    Belles-Manières va partir, mais il se retourne avant de gagner le couloir.
    — Oui, je vais mettre au croc mes instruments de travail, me faire honnête homme.
    — Honnête homme ! s’exclame le critique incrédule, en retrouvant sa hauteur. Vous vous moquez ! On ne quitte pas sa sphère comme on change de vêtement, je vous l’apprends, monsieur !
    Mais Belles-Manières insiste :
    — Croyez-moi, malgré mes lacunes, je finirai bien par monter les degrés. Alors, la richesse venant, avec la respectabilité, adoptant vos mœurs, je m’offrirai le luxe de passer commande. Du reste, j’aurai l’avantage de connaître le terrain, je trouverai sans peine à qui parler, un vieil ami, un remplaçant, une épée . Et un jour, un soir, vous trouverez quelqu’un à votre porte, vous tomberez sur un masque à la sortie du théâtre. L’artiste ne portera qu’un coup, un seul, en murmurant à votre oreille le message suivant : Belles-Manières vous prie de recevoir ses adieux . Je vous en donne ma parole.
     
    Pierre Mathieu se retire, sur ces derniers mots :
    — Au plaisir de ne pas vous revoir, monsieur. Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin de la sortie.
    Deuxième visite
    Philémon Janisse de La Ravoie a repris place devant la fenêtre.
    Il lui semble que la pointe d’acier lui pique encore la gorge.
    Là-bas, la place de Grève commence à se remplir de monde.
    Belles-Manières vous prie de recevoir ses adieux.
     
    Eh bien, il faudra désormais payer un garde du corps, une escorte ! Ce diable de maraud, cet insolent paltoquet va me ruiner ! Je vais être obligé de faire dormir un homme de main en travers de ma porte !
    On frappe à la porte.
    Encore !
    Mais que fait Baptiste ?
    — Baptiste !
    Ah, c’est vrai, il est sorti… C’est bien simple, cet âne n’est jamais là quand on a besoin de lui !
     
    — Entrez !
    La porte s’ouvre.
    Un jeune homme coiffé d’un chapeau brun, recouvert d’une cape grise traverse le couloir et se présente devant le maître des lieux.
    Janisse de La Ravoie n’est qu’à moitié surpris, il retrouve le sourire.
    — Molière ! Mais je vous prie, prenez un siège.
    Confession d’un éminent critique
    Molière accepte. Il s’assied. Janisse de La Ravoie, retrouvant ses manières, va lui servir un verre. Il s’en verse également un. Un remontant. Il en a bien besoin.
    Molière prend la coupe qu’on lui tend, mais ne boit pas encore.
    Janisse de La Ravoie reste debout. Il va près de la cheminée. Cette étreinte glaciale qui le tenait à la gorge, il y a encore un instant, est en train de disparaître. Ce Molière tombe à point nommé.
    — Pensez vous à la mort, Molière ?
    — Quelquefois, oui. Difficile de ne pas la croiser sur son chemin.
    — Bien sûr…
    Janisse de La Ravoie parle comme pour lui seul, livrant ses pensées à haute voix :
    — Voyez-vous, j’ai pris cet appartement parce que cette fenêtre me laissait apercevoir la place de Grève. Je voulais avoir l’image de la mort sous les yeux, la garder à l’esprit.
    Janisse de La Ravoie revient près de Molière. Il reste derrière lui, sans voir son visage. Il poursuit, sur le même ton :
    — Je suis rentré dans le cercle des arts et des lettres par la porte dérobée, celle de la Critique. En choisissant la plume, je m’étais fait la promesse de ne pas sacrifier plus de cinq années de mon existence à cette besogne qui ne procure que de courtes jouissances, quand elle en délivre. Oui, cette fenêtre devait me rappeler l’échéance, et m’aider à trouver le courage de reprendre, à l’instant voulu, mon âme au diable. J’ai pris soin de m’attirer les amitiés des partis influents, des beaux esprits du siècle. J’ai mimé leurs grimaces, j’ai copié leurs manières, j’ai défendu leurs idées, je suis devenu leur soldat. Connaissez-vous cette chose que l’on appelle le café ? Je défie quiconque, à la première tasse, de trouver bon goût à ce breuvage. Cela est amer, âcre, apparemment imbuvable. Et pourtant, à la cinquième ou sixième tentative, vous finissez par vous y faire. Enfin, vous ne pouvez simplement plus vous en passer. Cela vous donne l’illusion de la puissance, en décuplant vos facultés intellectuelles, en vous aidant à vaincre le sommeil. Grâce à cette merveille, la nuit devient comme le jour. Il en fut ainsi pour moi. Je savais qu’il fallait plaire à ces pédants

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