Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
inquiet… plutôt indifférent.
Beaufort répond sans ouvrir les yeux.
— Si ce n’est nous, ce sera le roi, ou le peuple, mais un jour vous verrez Mazarin tomber de sa tribune, abattu comme un chien et livré aux crocs de bouchers. C’est le sort de ces parvenus italiens quand ils se mêlent de jouer les princes de Sicile à la tête du royaume de France. Je vous le prédis… une fin pareille à celle de Concini, à lui faire regretter le poison de sa compatriote et la mitraille de Lanteaume.
Gondi sourit.
— Vous avez raison. Nous allons sonner le tocsin contre le cardinal. Puisque nous ne pouvons l’abattre d’un trait, préparons sa chute, minons les souterrains. Si la base s’enflamme, le haut brûlera.
Gondi passe la tête à la fenêtre et s’exclame, de vive voix :
— Cocher, arrête-toi là, je suis arrivé.
Plan D
Puis, revenant dans la cabine, Gondi poursuit :
— Plan D, mes amis. Ce sera plus long, plus insidieux. Les lettres et les lettrés, voici mon idée. Non plus le poison ou la manière forte, mais l’encerclement. Cet idiot de Mazarin n’a de goût que pour l’opéra et la danse… et un peu de peinture, je vous l’accorde ; en revanche, il néglige à tort de s’attacher l’appui des plumitifs. Grave erreur. Richelieu du moins avait son Académie. Ayons la nôtre, elle sera frondeuse. Et je lui prédis bien plus de gloire et de bons mots qu’à cette légion d’écrivains modèles. Un pamphlet est tellement plus réjouissant qu’un éloge. Le panégyriste peine à la tâche. Enchaîné à son pupitre comme un galérien à son navire, il doit tirer toutes les ficelles du métier dans le vain espoir d’ébranler les cloches de la renommée. Alors que le satiriste est un artiste, un brigand, tout lui est permis. Reconnaissez-vous cette fenêtre ? demande le coadjuteur en désignant le troisième étage d’un appartement face à eux. C’est celle de Philémon Janisse de La Ravoie. J’ai fabriqué cet homme, uninnocent de province qui avait tout à apprendre et qui ne demandait qu’à bien faire. Il a dépassé mes espérances. Je lui ai fait signer mes premiers papiers pour le pousser un peu dans le monde et voir comment il allait réagir au feu. J’entends lui donner à mes côtés la direction d’un bataillon de rimeurs et d’enchanteurs. Les mots sont plus puissants que les balles, le fer ou le venin. Ils traversent le temps. Portons nos attaques par le Verbe et non seulement le cardinal en mourra, mais il ne s’en relèvera jamais. Son image restera à jamais attachée aux rires féroces que nous allons déchaîner contre elle. Les injures se gravent dans l’airain, les bienfaits dans le sable.
— Toujours une idée en tête, je vous félicite, Gondi, dit Marie de Rohan. Cela va certainement coûter quelques investissements.
— Naturellement, répond le coadjuteur, mais je compte sur votre collaboration, duchesse, et sur toutes les bonnes volontés. Du reste, chez le poète le sang de la révolte ne demande qu’à crier. Ils se mettraient à l’ouvrage contre un jambon et une bouteille de vin, nous serons grands princes en leur offrant quelques suppléments… des vêtements chauds et peut-être un peu d’amour.
— Tiens, dit Marie de Rohan, il sort justement un homme de chez votre Janisse de La Ravoie…
Où l’on voit que l’apparition de d’Artagnan pourrait changer le destin de Molière
— Diable, je le reconnais, dit Beaufort qui vient d’achever sa sieste, et qui ouvre justement les yeux pour apercevoir la silhouette de l’autre côté de la rue. Ce drôle est des plus talentueux, en vérité. Je l’ai vu se donner en spectacle sur des tréteaux dépliés en pleine rue. J’ai ri comme un coffre. Eh bien, savez-vous ? Je crois que je vais le prendre sous mon aile. Il serait fâcheux de voir ce beau merle se perdre dans la nature.
Mais à cet instant, celui qui sort de l’immeuble du critique Janisse de La Ravoie reconnaît à son tour deux cavaliers passant au galop devant lui.
Il lève la main et les hèle :
— Holà, ami d’Artagnan ! Hercule !
Mais les cavaliers sont déjà hors de vue, ils sont passés sans le voir ni l’entendre.
Beaufort, lui, s’apprête à sortir du carrosse, mais Gondi le retient.
— Ce drôle, dit-il, comme vous avez pu l’entendre, est l’ami de d’Artagnan et d’Artagnan, cela nous le savons, est à Mazarin.
— Bon, eh bien ?
— On ne s’allie pas avec l’ennemi… Et puis, du reste,
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