Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
à quoi songez-vous, à vous acheter la compagnie d’un bouffon ? Allons, duc ! Sortez de vos songeries, nous ne sommes plus à la cour des Valois.
— Vous avez raison, Gondi, dit Beaufort, je suis un seigneur d’un autre âge. Ce farceur étourdissant me changerait de vos airs à la mode. Vous êtes brillant, Gondi, mais sous ce vernis, tout est morne. Et moi, j’aime la gaieté, les odeurs, la couleur des vitraux, l’amour en chair et la guerre en musique !
Ce disant, François de Vendôme, duc de Beaufort, s’approche de la portière.
— Où allez-vous, demande la duchesse, qui goûte fort les sursauts d’humeur de ce jeune coq qui porte si bien son nom.
— Place de Grève, répond l’homme, en passant devant Gondi en lui écrasant les pieds.
François de Vendôme ouvre la portière, sort, et poursuit dehors :
— Comme la plèbe dont je partage les goûts primaires en matière d’amusement, je trouve qu’une exécution publique avec décollation vous offre toujours son lot de sensations fortes.
— Et qui va-t-on raccourcir ? demande encore la duchesse.
— Un aventurier, un bretteur, un coupeur de gorges. Il n’est pas impossible, dit Beaufort en baisant la main de son interlocutrice, que je verse quelques larmes.
Sans plus de cérémonie, sans un regard pour le bon apôtre, François de Vendôme reprend sa route, à pied. Il cherche un temps à retrouver ce jeune comédien de talent qui l’a tant amusé, ce farceur désormais nommé Molière – cela Beaufort l’ignore encore – mais il a disparu. Dommage , se dit le duc.
Mais Beaufort retrouve le sourire.
Il a bon fond.
Le comique s’en est allé avec son brio, reste l’acteur tragique et son échafaud.
D’un bon pas, le cœur joyeux, François de Vendôme, prince de sang, petit-fils d’Henri IV, va donc se mêler à la foule qui se rassemble en masse sur la place de Grève.
Molière en marche
Je suis le dernier des imbéciles et le premier des naïfs ! se dit Molière en sortant de chez son tourmenteur, l’ennemi juré Janisse de La Ravoie. Venir chez lui, le narguer avec mon manuscrit sous le bras ! À tenter le diable ! Fallait-il être sot ! Ton orgueil te perdra, Molière, comme il perd tous les hommes !
Dépité, effondré, détruit, et en même temps plein de feu, de rage et de colère, plein de forces, Molière ne les voit passer que trop tard.
— Holà ! Ami d’Artagnan, Hercule !
Ils ont déjà disparu.
Un autre cavalier était d’ailleurs avec eux, à moins que ce ne fût une cavalière ? Peste, il lui a bien semblé reconnaître le charmant minois de cette jeune frondeuse, celle de la Tour d’Auvergne , la protégée de ce Lanteaume mené à la Bastille. Curieuse association , se dit le comédien, que pouvaient-ils faire tous trois ensemble à filer ainsi au galop de leurs chevaux emballés ?
Molière n’a pas prêté l’oreille aux rumeurs. Sitôt la pièce achevée, il quitta l’hôtel de l’Italienne et travailla toute la nuit à conclure la rédaction de son premier ouvrage. Une première œuvre qui n’aura pas fait long feu… Il ignore donc ce qui va se jouer sur l’échafaud, place de Grève.
Molière hésite un instant à s’y rendre.
Par nostalgie, puisque c’est là-bas qu’un aventurier protecteur lui donna ce nom qui va désormais être le sien, ce nom qu’il devra pousser sur les routes de France, étape par étape, été comme hiver, qu’il vente ou qu’il neige, sous la pluie et dans la boue. Ce nom qu’il devra récrire en toutes lettres au bas d’un nouveau manuscrit. Un nouveau manuscrit qu’il tâchera cette fois de conserver avec plus de prudence.
Molière a bonne mémoire, il garde en tête le canevas de la pièce, quelques répliques… Mais hélas, les plus drôles, les plusinventives, celles qui jaillirent de la plume comme par accident, celles-là devaient être saisies au vol. Elles sont maintenant perdues dans les cendres, retournées au néant.
Molière quitte la rue de la Colombe où ce corbeau de Janisse de La Ravoie a fait son nid, et s’engage dans la rue Neuve-Notre-Dame.
Molière était fier de son travail, pourtant, il comprend maintenant qu’il y manquait quelque chose. Je ne dois pas la récrire, ni même la parfaire , se dit-il, mais la repenser .
Non, Molière n’a pas tout perdu.
Cette confession que lui a faite le critique, il s’en servira.
Une nouvelle figure apparaît, plus sombre, plus pathétique. Le rire qu’il déclenchera
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