Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
de la Fronde, les déchirures du royaume, la perfidie des Grands, la disgrâce dans laquelle il est tenu, en exil, dans un bastion retranché. Il lui a fait oublier toutes ses peines sans rien lui cacher des réalités qu’il faudra affronter bientôt, des luttes qu’il devra poursuivre dans l’espoir de les conclure par la force et par la ruse. Oui, cet aventurier au front d’airain , amant de l’amour, est devenu son modèle.
Louis XIV voudra lui ressembler, l’égaler, à sa manière.
L’enfant est debout, face à la fenêtre, seul. Le jour se lève. Il sait déjà quel avenir l’attend. Libre, il ne le sera jamais. Cela, il vient de le comprendre, vivement, cruellement. Ce cavalier, cet aventurier, lui offre un modèle, oui, mais un modèle inaccessible. « Mon château sera ma prison. Mais si je ne puis courir les chemins là où bon me semble, ne dépendre de personne, eh bien, au moins, je serai le maître, un maître indiscuté. Et mes ennemis connaîtront un sort pareil au mien. Ils n’auront pas plus que moi le plaisir de jouir de ce que la destinée me refuse. »
Nous disions que le roi aimerait retarder l’échéance. La fin de cette histoire, c’est en effet la fin d’un rêve. Le retour au monde. Et puis, la fin de cette histoire, c’est aussi le départ de d’Artagnan, du moins de cette chambre.
Sa mère, la reine, le lui a bien dit, l’autre soir.
— Louis, le chevalier d’Artagnan ne peut toujours rester enfermé dans cette pièce, près de vous. Quand il terminera son récit, il continuera de veiller sur vous, mais vous comprendrez, mon fils, que le cardinal a prévu de l’employer à d’autres tâches. C’est un précieux serviteur et les amis fidèles sont rares.
Le roi reste dans ses pensées :
« Partager quelques instants de sa vie fut si passionnant ! Un mousquetaire… et quel mousquetaire ! Non pas seulement le mousquetaire du roi mais le roi des mousquetaires !
Mais le voici justement, qui entre, le chapeau à la main, soigneusement vêtu, mais sans effet de mode, sobrement, comme à l’accoutumée, le visage ouvert et l’œil plissé. »
— Installez-vous, chevalier, je ne demande qu’à vous entendre.
En approche
— Quelle nuit, Sire !
— Vous avez mal dormi ?
— J’ai beaucoup bavardé avec Son Éminence, mais je veux parler de l’autre nuit, de cette nuit épuisante, harassante où nous avons crevé nos bêtes et brûlé toutes nos forces, cette nuit qui précède le jour de l’exécution.
— Avez-vous retrouvé Main-gauche ?
— Hélas, non, Sire.
— Mais alors ?
D’Artagnan lève la main.
— Nous savons où il se trouve.
— Vraiment ? Où donc ?
— Non loin. L’Alouette – laissons-lui son nom d’oiseau puisqu’elle a repris ses vêtements d’homme et son chapeau à plume –, l’Alouette , armée de canons, de dagues, de couteaux et de sa rapière, nous a guidés vers les lieux de prédilection du brigand. On l’avait vu ici et là, faisant de grandes dépenses comme si l’argent lui brûlait les doigts. Il montrait à qui voulait la voir sa nouvelle main : un gant de cuir muni de longues griffes de fer. Il restait en effet à tourner autour de Paris tel un loup solitaire se refusant à quitter son ancien territoire. En vérité, une chose le retient.
— Quoi donc ?
— Vous ne devinez pas, Sire ? L’exécution. L’exécution publique de ce don Juan de Tolède qu’il croyait mort. Il veut se placer au plus près de l’estrade, croiser le regard de ce survivant, lui sourire une dernière fois, enfin vengé. Cela, Main-gauche l’a déclaré publiquement, haut et fort.
« Ce brigand, nous le savons aussi, n’est pas seul. Il a recruté quelques complices. Maintenant l’information : cette rumeur nous indiquant la présence du brigand en place de Grève, nous l’avons obtenue en milieu de matinée, à quelques lieues de Paris. Il fallait rentrer en toute hâte, revenir au point de départ, véritable centre de convergence.
Edmond de Villefranche est parti de son côté, je l’ai envoyé ailleurs, sur une autre piste, nous ne sommes que trois, une trinité qui n’a pas dormi de vraies nuits depuis trop longtemps. L’heure tourne. Les cloches vont bientôt sonner. Nous apercevons au loin la place de Grève, la tribune, une tache rouge.
Encore quelques foulées et nous y sommes, mais, venu d’une rue perpendiculaire, un carrosse passe en travers de notre route. Les passagers nous dévisagent. Ils
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