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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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pathos, du grand répertoire ensuite. Car ces bouffons ne sont pas les seuls à avoir quitté le foyer de leur hôtel. Après eux, les comédiens impeccables sont également partis à la rencontre de leur public.
    Les rues, comme nous le disions, ne sont-elles pas les artères d’un théâtre à ciel ouvert ?
    Cette fois, après avoir déclenché le rire, il faut imposer le silence, créer l’attente. L’hôtel de Bourgogne, lieu de prestige s’il en est, donnera ce jour même une représentation exceptionnelle : la première reprise d’un chef-d’œuvre joué six ans plus tôt. Le comédien Pierre de Messier, dit Bellerose , vient en personne le crier sur les toits. Ce drame, ce n’est rien moins que la pièce du siècle ! Un morceau de bravoure écrit à la pointe de l’épée ! Un règne s’achève, les hommes passent, mais le génie marche avec le roi sur un pied d’égalité : il ne meurt pas. Le Cid de monsieur Corneille brille encore d’un éclat terrible. »
     
    — Le Cid ! s’écrie le roi. Je viens d’en lire le texte, voilà quelques jours.
    — Eh bien ! dit d’Artagnan, je vous félicite, Majesté, il n’est jamais trop tôt pour bien former son esprit en le nourrissant au lait des grands maîtres. Avez-vous aimé ?
    — Bien plus. Je fus transporté ! Comme je le suis encore aujourd’hui, près de vous. Et le bonheur d’hier, celui que je tiraide ma lecture, se mêle à celui que je goûte à présent, comme s’il ne pouvait cesser de croître !
    — En effet. Ce qui germe, en bien, dans le cœur, doit s’élever en nous et monter vers les cieux pour communier avec le ciel, comme le tronc d’un arbre déployant ses branches, gagnant les hauteurs. Mais savez-vous, Sire, que cette pièce fut l’objet d’une véritable querelle ?
    — Tout ce que je sais de cette œuvre, c’est que j’aimerais la relire, pour l’apprécier encore.
    — Toute la noblesse, toute la jeunesse, se retrouva dans ce drame. Cette jeunesse ardente et combative toujours prête à tirer le fer, à défendre son nom, à verser le sang en pleine rue, pour une femme, une insulte, par orgueil ! Diable, je fus du lot et je garde toujours serrée contre moi, sous la cape recouvrant l’agent du secret, la rapière du mousquetaire ! Cependant, ces duels, Richelieu entreprit de les interdire avec force, par décret, sous peine de mort ! En place publique… Bref, le génie à la mode, par cette pièce qui allait porter son nom au triomphe, dérangeait fort la politique répressive du ministre. Or, en cette heure où le cardinal de Richelieu vient de quitter la scène, on sent couver sous la cendre de brûlantes passions.
    D’Artagnan se prend à songer à voix haute, comme pour lui seul, il se lève, et parle en visionnaire :
    — Le temps n’a peut-être pas tout effacé, la tombe n’a peut-être pas tout emporté. Rejouer Le Cid , ressusciter Rodrigue et Chimène, c’est peut-être rappeler l’absent. Chacun voit dans son esprit la salle comble, mais là-haut… une trouée… il manque un spectateur… cette place vide au balcon ne peut-être que la sienne. On sent déjà sa présence derrière le rideau rouge, on suspecte l’impossible, on frémit de le voir apparaître. Applaudira-t-il sans réserve ni rancune à la fin de la représentation ?
    Le chevalier retrouve le regard du roi qui l’observe et l’admire. D’Artagnan sourit. Il regagne sa place et conclut :
    — Il est trop tôt pour le dire.
    Puis, après avoir bu une nouvelle rasade de son vin cuit, le chevalier reprend le cours de son récit.

    « — Regardez, nous dit l’aventurier, l’histoire se répète, mais cette fois, les positions sont inversées.
    En effet, la voiture de cette sulfureuse Desdémone, loin de vouloir forcer le passage, demeure au contraire immobilisée de son plein gré. Son cocher, qui dut recevoir quelques instructions de sa maîtresse, ne semble pas s’impatienter. Il profite de ce moment de répit et de sa situation surélevée pour apprécier les fantaisies de ces amuseurs qui défilent devant lui. Seulement, d’autres équipages, plus lourds que le sien, moins nonchalants, et faisant la queue derrière sa voiture, se gardent bien d’applaudir.
    C’est qu’en effet le carrosse de la belle Italienne prend à lui seul, en cette voie où il s’est engagé, toute la largeur de la rue.
    — Mais que fait-elle ? questionne Fortunio.
    — Elle respire, répond son acolyte. Si son carrosse s’est immobilisé,

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