Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
arrivé.
Le don Juan se met en place. Il titube.
Il respire. Puis il arme son bras et lance son couteau. Celui-ci va se planter à côté de la cible. C’est un raté.
La frondeuse est satisfaite.
Les admirateurs sont déçus.
— J’implore une grâce… dit don Juan qui s’assoit sur cette chaise que Fortunio lui présente.
— Une grâce, demande la frondeuse, en quel honneur ? Vous n’avez plus rien à jouer, vous êtes sec.
— Pas tout à fait… Don Juan ouvre sa chemise. Il présente un bijou accroché à son cou. C’est une amulette de grande valeur, dit-il. J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux, elle remplace un médaillon qui n’aurait jamais dû me quitter.
— Faites voir, demande la connaisseuse.
L’aventurier se débarrasse de son collier et le présente à son adversaire.
— Jugez par vous-même.
— C’est bon. J’accepte. Si vous tenez tant à vous ridiculiser une dernière fois. Mais pour pimenter l’affaire, je vais vous demander de faire mieux.
Ce disant, la jeune femme sort sa propre dague.
Elle recule encore la distance initiale et fixe la cible.
Elle se tient les jambes écartées, en position. Elle tend son bras. La dague siffle dans l’air. La pointe va transpercer le front de monsieur de Mazarin en plein centre de l’imprimé.
— Eh bien, dit don Juan, on dirait que ce petit cardinal n’est pas de vos amis, vous avez mis dans le noir.
La frondeuse va chercher son couteau. Elle le retire et dit à son interlocuteur :
— Le premier, le Richelieu, nous saignait à blanc pour payer la guerre, celui-là nous gruge avec le sourire. Tel maître, tel valet.
Don Juan se laisse resservir à boire, et fait deux pas autour de la jeune femme.
— Grâce à Son Éminence, je sais mieux comment vous plaire. Il me suffirait d’aller vous porter sa tête.
— Promesse d’ivrogne. Avant d’oser attenter à sa vie, essayez déjà d’atteindre son effigie, dit-elle en tendant son arme à son adversaire.
Les paris reprennent de plus belle.
Don Juan s’approche de sa concurrente.
— Si je gagne…
— Permettez-moi d’en douter.
— Si je gagne, je ne touche pas à votre or, mais je reprends le mien. Parole de voleur.
— Vraiment ?
— Je vous laisse vos gains, mais je demande une prime.
— Une prime ?
— En nature. Un baiser.
— Hors de question.
— Alors, vous avez gagné. Je ne jouerai plus.
Impossible. La demande est trop forte. On attend le clou du spectacle. L’affrontement final. Il faut céder, la frondeuse doit plier.
— Très bien. Dans l’état où vous êtes, je ne risque pas grand-chose.
— Un jeu d’enfant, j’y arriverai les yeux bandés.
— Soit. Je vous prends au mot.
— Vous avez peur ?
— Pas le moins du monde.
— Vous avez raison. La peur est une illusion, comme tout ce qui nous entoure.
L’aventurier s’avance sur la ligne. Il reprend, en désignant le placard où le portrait du cardinal de Mazarin a déjà bien souffert :
— Pour votre gouverne, mademoiselle, sachez qu’une fine lame doit viser juste. Si je devais porter la mienne au front de l’ennemi, je n’irais pas comme vous, tirer si haut, sur ce casque d’os où rien ne rentre.
Don Juan fait un signe pour qu’on vienne lui bander les yeux. Il demande qu’on le guide pour qu’il soit placé bien en face de la cible.
— Ah non ? répond la frondeuse d’un air moqueur. Et alors, dites-moi, que proposez-vous : lui crever un œil, lui clouer le bec ?
— Travail de boucher. J’aime mieux frapper à la porte étroite, passer par le chas d’une aiguille. Pour signer mon crime d’une main de maître…
Don Juan arme son bras, poursuit sa phrase :
— Je porterai ma touche…
Mais avant de la finir, avec un geste parfait, il se détend et réussit un coup prodigieux. Et ce coup ne peut-être un coup de chance.
— Entre les deux yeux ! s’exclame stupéfait un admirateur en désignant la prouesse.
L’aventurier retire son bandeau et salue son public, en disant :
— … Là où la nature laisse un passage à la mort. »
La perdante se dérobe
— Diable ! Quel beau tir ! dit le roi en se levant de sa chaise.
— En effet, Majesté, confirme d’Artagnan.
Il attend que son auditeur ait repris sa place et il porte alors un doigt au front du jeune Louis XIV, sur un point précis, en s’expliquant :
— C’est ici, Sire, que l’os du crâne, partout ailleurs impénétrable – les grands duellistes ne l’ignorent pas – c’est
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