Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
songer à haute voix. Réveillé dans son âme par tant d’émotions, il libère quelques paroles que personne, hormis le chevalier, ne devrait percevoir.
Quand un bruit se fait entendre dans la grande armoire postée en face du lit, il est trop tard. Le cardinal en a trop dit.
D’Artagnan se lève d’un bond. Et d’un geste, il sort l’épée du fourreau, pointant son arme sur cette cachette qu’il eût pu lui-même emprunter en d’autres circonstances, mais qui abrite pour l’heure un importun venant de se trahir par maladresse.
La porte grince.
Elle est poussée d’une main faible.
Cette main apparaît. C’est celle d’un enfant. Le roi, fort embarrassé, se montre enfin, en courbant l’échine.
Le fautif
Ce roi qui va bientôt dominer le royaume de France et rayonner sur le monde, inspirer ici l’admiration, là la terreur, ce roi en puissance est redevenu un simple petit garçon, pris en faute.
Avec cinq années de plus, il aurait arboré un sourire goguenard, un air fanfaron, se serait félicité à haute voix d’avoir été présent à la bonne heure, au bon endroit.
Mais l’enfant s’expose le rouge au front, la parole tremblante.
Il n’a commis aucun délit, mais c’est égal, il se juge coupable. Au fond, il sait bien qu’il aurait pu se manifester plus tôt, quand il était encore temps, avant que le cardinal ne révèle ce secret si précieux.
— Je jure de ne rien dire…
Les mots s’échappent de la bouche de Louis XIV, avec des larmes dans la voix.
Une chaîne d’amour
Que s’était-il passé ? Le roi jouait à cache-cache avec son frère Philippe. Pour faire durer la traque et mettre en rogne son cadet, Louis XIV s’était autorisé à trouver asile en dehors du territoire de jeu. Il entra dans cette pièce retirée et s’enferma dans l’armoire.Philippe fouillait en vain les pièces communes où il tournait en rond, demandant à tous ceux qu’il croisait si quelqu’un avait aperçu seulement le nez de Sa Majesté.
Pendant que Monsieur dévalait les marches, soulevait les rideaux, cherchait effrontément le disparu sous les jupes des femmes, monsieur d’Artagnan alla chercher la tranquillité là où le roi s’était dissimulé.
Arriva monsieur de Mazarin…
La découverte du roi, ce roi qui venait de surprendre un lourd secret, fut un véritable coup de théâtre… Le cardinal eut peine à cacher son embarras. Il perdit ses couleurs. D’Artagnan, lui, fut à la fois désemparé et fort soulagé. Il allait pouvoir reprendre son récit, les coudées franches. Le roi savait …
Il savait du moins l’essentiel, le reste, à quelques nuances près, pouvait être raconté. Cela n’avait plus guère d’importance.
— Votre Majesté, dit Mazarin en se relevant à la fin de cet entretien qu’il venait d’avoir avec le roi, entretien auquel le cardinal ne pouvait plus échapper, Votre Majesté, pardonnez ma franchise, vous savez désormais des choses sur ma vie, mon passé, que j’eusse mieux aimé garder pour moi seul. Mais quels que soient le pouvoir et les moyens dont on dispose, on ne peut ni tout contrôler, ni tout effacer. Disons tout. Quelques-uns de mes ennemis ont également eu connaissance de ces révélations. Pour l’heure, ces ennemis se sont tus. Il y a une bonne raison à cela : des documents précieux, pouvant les discréditer, des documents officieux que je tiens en ma possession, les ont contraints au silence. Je joue secrets pour secrets et d’un bord comme de l’autre, nous concluons : partie nulle. Qui parle sera aussitôt démasqué à son tour. Vous apprendrez bientôt que toutes les batailles ne se livrent pas au grand jour, flamberge au vent. Des ducs et des princes, des royaumes et des partis peuvent fléchir sans qu’une goutte de sang soit versée… Par quelques lignes, un simple bout de papier, une signature compromettante. Qui tient ces lettres tient la marche de l’univers, du moins quelques instants. Car bien souvent quand nous perçons le jeu de l’adversaire, celui-ci fouille le nôtre. Tel vaincu sauve sa tête par une trouvaille tombée du ciel ou tirée des enfers, à l’heure où le bourreau aiguise son couperet. Vous êtes bien devenu un homme. Dieu le voulait. Cet exil vous tire de l’enfance et vous fait découvrir de bonne heure la face cachée dumonde. J’ai confiance en vous, Votre Majesté. Un secret entre les hommes peut être un poison dans le cœur des confidents, un lent poison qui mettra
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