Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

nous reprendrons notre aventure, n’est-ce pas ?
    — Ne vous inquiétez pas, Majesté, je ne vous abandonne pas, vous me verrez fidèle à mon poste. Bonne nuit, mon Roi.
    — Bonne nuit, Monsieur… Et merci.

Deuxième Partie
    Confessions et jeux de dupes

Chapitre un
    Où d’Artagnan peut constater qu’une position privilégiée
peut vous mettre en situation bien délicate
    Espion malgré lui
    Rien n’est plus difficile que de conserver un secret. D’Artagnan ne l’ignore pas. En ce troisième jour d’exil, il redoute fort l’étape à venir. Comment la contourner pour ne point trahir la confiance que le cardinal de Mazarin lui accorde si pleinement ? Ah, ces secrets, il eût mieux aimé certainement ne jamais les avoir approchés. Ils lui sont tombés dessus sans crier gare… Du moins, ces secrets brûlants que l’actuelle conduite de son récit l’obligerait, par fidélité à la réalité, à révéler incessamment.
    Un roi doit tout savoir comme Dieu peut tout voir.
    Cette sentence prononcée par la bouche du jeune Louis XIV va bientôt montrer comme la Providence elle-même entend lui donner raison, quitte à mettre son grain de sel dans les affaires privées.
    L’enfant roi est parti jouer avec son frère Philippe qui réclamait la compagnie de son aîné. Ce dernier n’avait nulle envie de faire patienter son narrateur particulier, mais il fallut céder, une fois n’est pas coutume, aux insistances de sa mère. Le chevalier d’Artagnan en a alors profité pour faire les cent pas. Ces cent pas l’ont amené à traverser le château de Saint-Germain, désormais meublé du nécessaire, chauffé au mieux, éclairé de jour comme de nuit, étrange station de retranchement mêlant les désordres d’un campement aux rendez-vous confidentiels, les décisions militaires aux bavardages des courtisans, le luxe et le dénuement. Il y a des cartesposées sur des tables, des cavaliers aux pieds boueux, l’épée au flanc, la poussière au corps, qui traversent les pièces les éperons sonnant, avec des ordres de mission, des documents cachetés de frais… Des agents de renseignement qui baissent la tête en croisant les civils, et derrière lesquels les portes des cabinets de travail se referment à double tour. Ici, on joue au Pharaon pour tuer le temps, là, on écoute un aria, on récite des vers du poète Voiture. Plus loin, des gardes boivent un trait de vin chaud et font rouler une paire de dés. Plus loin encore, à l’écart, à l’abri des espions délateurs et des oreilles indiscrètes, de traîtres moqueurs se font la lecture d’une Mazarinade qui vient tout juste de leur être livrée sous le manteau.
    D’Artagnan a donc fait les cent pas, en saluant virilement ses inférieurs, en s’inclinant face aux grands, en se découvrant devant les dames. Il est allé s’enfermer dans un appartement désert.
    Peu de temps après qu’il se fut allongé sur un lit, sans se défaire de ses bottes, on frappe à la porte. Il se redresse. Le cardinal entre.
    — Je vous cherchais, mon ami, s’explique le ministre. Puis-je entrer ?
    D’Artagnan s’est levé, il répond d’un geste, invitant Son Éminence à venir le rejoindre. Celui-ci va prendre une chaise et se place en face de son mousquetaire.
    — Je suis bien occupé, monsieur le chevalier, et je devrais avoir d’autres soucis en tête, mais hélas, l’inquiétude me taraude et je ne sais comment ordonner à cette harpie de ne plus harceler.
    — En quoi puis-je aider Votre Éminence ?
    — Cette inquiétude, monsieur le chevalier, n’est pas nouvelle. Elle revient. C’est au sujet de notre petit… secret. Enfin, je dis petit…
    — Rassurez-vous. Sur ce point, je suis resté, selon vos exigences – bien naturelles au demeurant –, muet comme une tombe. Le roi ne sait rien.
    — Mais votre histoire progresse pourtant, non ?
    — Certes, elle avance, nous sommes restés, le roi et moi-même, toute une journée en tête à tête. Pour tout vous dire, je suis comme vous, enfin, je veux dire, préoccupé, et j’appréhende la suite.
    — Ah.
    — C’est que cette révélation, si puissante, donne, il est vrai, une tout autre couleur aux événements à venir : je veux dire ceux de l’intrigue que je… ramène à la vie. La taire, c’est presque passer à côté de l’essentiel.
    — Terrain glissant… Pente fatale.
    — Eh oui.
    Le cardinal soupire. Lui aussi replonge dans ses souvenirs. Si profondément qu’il se prend à