Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
coupeur de gorge, il lui versa toutes ses économies. « Que la fille disparaisse et que l’on ne retrouve jamais son corps. » Telles étaient les volontés du commanditaire. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Le criminel se lança, le soir venu, à la poursuite de cette femme. « Un jeu d’enfant », se dit-il. Il faut se méfier de ce qui paraît trop évident. L’affaire qui faisait presque insulte à la compétence de l’assassin eut un revers inattendu. Lucia avait appris à se défendre. Les quartiers pauvres de Rome sont de véritables repaires où tous les voleurs, tous les brigands, toutes les filles de joie vont associer leurs compétences ou se tenir en rivalité. C’est un territoire où celui qui veut survivre doit savoir ruser, courir à toutes jambes, mentir, tricher et surtout, riposter, œil pour œil, dent pour dent. À toutes ces aptitudes si complémentaires, Lucia avait été initiée de bonne heure. L’assassin la trouva, il sortit la lame de son couteau. La fille ne pouvait fuir, coincée entre les murs d’une impasse. Il n’y avait personne aux environs pour lui venir en aide, et puis là-bas, dans ces bouges, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous.
— Qui t’envoie ? demanda Lucia.
— Un homme qui ne veut pas de toi, ma belle, lui répondit l’assassin. Lucia se demanda aussitôt si le payeur était le père ou le fils, l’amant ou le gardien de la famille…
— Quel âge ? demanda-t-elle encore. C’est ma dernière volonté.
— L’âge d’un désespéré qui a vécu et qui sait bien comme va le monde.
Lucia comprit. Ce n’était pas Giulio. Il n’était pas responsable. Dieu soit loué . Ces paroles dites, l’assassin s’approcha, il demanda à la victime, en mettant son doigt sur sa bouche, de garder le silence.
— Autant éviter les hurlements et s’évertuer à mourir en paix, ce n’est qu’un mauvais moment à passer.
Lucia resta les lèvres fermées, elle n’émit pas un cri. Elle retint son souffle et frappa de toutes ses forces entre les cuisses de l’agresseur qui ne s’attendait pas à ce coup bas. Il lâcha son arme. Lucia fut plus rapide que lui. Elle ramassa le couteau et le porta à lagorge de son attaquant. Au fond, ce n’était pas plus difficile que d’ouvrir le cou d’un poulet, il ne fallait pas trembler, juste tirer d’un coup sec. L’assassin n’eut pas le temps de se reprendre, de se dire que sa trop grande confiance en lui-même et son peu de connaissance des ressources cachées de certaines femmes l’avaient peut-être perdu. Il se vida de son sang…
Lucia venait de tuer son premier homme.
Pour ces tâches ingrates, c’est toujours commencer qui est le plus difficile.
De la misère à la richesse
D’Artagnan poursuit la confession de l’Italienne :
« “Cet enfant grandissait en moi. Je ne pouvais rien dire à mes parents, je refusais que quiconque puisse m’utiliser ou veuille prendre ma défense. J’étais livrée à moi-même. Pour qui jouer désormais ? Pour qui chanter ? Mon public, c’était toi. J’avais, moi aussi, comme tes parents, placé tous mes espoirs entre tes mains. Me délivrer de toi, c’était renoncer à eux. Cet enfant né de l’amour, je me suis prise à le haïr. Je croyais qu’il allait nous apporter le bonheur, mais ce bonheur, il le brisait. Maudire un enfant, son enfant, c’est cracher contre le ciel, se révolter contre Dieu. Je suis partie à Naples. Là-bas, je cachais mon ventre comme je pouvais. Je mendiais ma nourriture, je volais aux étalages, je vivais comme un animal sauvage et j’espérais que ce fœtus allait se dessécher et retourner à la terre avant d’avoir vécu.
Un beau jour, je m’étais aventurée dans les beaux quartiers. J’avais dérobé des vêtements propres, j’étais… présentable. Après avoir vécu de petites rapines, je voulais voler quelque chose qui ait de la valeur pour une fois. J’étais prête à en courir le risque. Je réussis à m’introduire, par une fenêtre ouverte, dans une belle et vaste demeure. Il y avait des objets de toute beauté. Je pris tout ce que je pouvais, des bracelets, des colliers, des bagues. Mais au lieu de partir aussi vite que j’étais venue, je me surpris à essayer ces parures, à me contempler, ainsi métamorphosée, dans le reflet d’un miroir. La femme qui vivait dans cette maison arriva dans la pièce où je me trouvais. Au lieu de me menacer, de m’enfermer chez elle, d’appeler ses
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