Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
narrateur attend sa réponse, il finit par se prononcer :
— Monsieur mon parrain, le cardinal de Mazarin ?
— Lui-même, dit d’Artagnan.
Chapitre deux
Descente aux enfers
Retrouvailles
« Et voici la conversation que Son Éminence m’a autorisé à vous rapporter :
— Mon Dieu, c’est bien vous ! s’exclame le cardinal. Il me semble que vous n’avez pas changé, votre visage est resté le même.
L’Italienne attend un instant, terrible instant, avant de prendre la parole.
— Oh si, j’ai changé… depuis ces dix-sept ans que nous nous sommes vus pour la dernière fois.
— Dix-sept ans ! En effet.
— Vous avez donc bien reçu mon invitation. Nous sommes seuls, comme vous pouvez le constater.
— Avant même de lire votre nom sur cette signature, j’avais reconnu votre écriture. Vous m’écrivez en italien et vous me parlez en français…
— C’est ma deuxième langue. Ma mère était originaire de Lyon, l’avez-vous oublié ?
— Non, je n’ai rien oublié.
— Oui, je préfère que nous parlions dans cette langue qui vous est encore un peu étrangère… l’italien fut le langage de notre amour passé. Aujourd’hui, je dois vous parler de moi et d’une affaire qui vous concerne, usons de ce dialecte diplomatique, il sied bien à ma démarche. Allons aux faits : on veut vous assassiner. Vos ennemis ont songé à moi. Je suis aujourd’hui une empoisonneuse très demandée. En vérité, ces messieurs les comploteurs m’ont mis l’épée sous la gorge. Ils s’imaginent me tenir à leur merci. Si je n’obéis pas à leur ordre, ils me laisseront en pâture aux mercenaires du Conseil des Dix de Venise. Après avoir utilisé plus d’une fois mes services, ce Conseil de juges décide maintenant de me supprimer. J’en sais trop, sans doute. Mais nous reparlerons de cela ensuite. Je ne vous ai pas fait venir seulement pour vous mettre en garde. Du reste, rassurez-vous, j’ai de bonnes raisons de trahir mes engagements, vous allez bientôt les connaître.
— Ainsi, cette empoisonneuse partie de Rome, c’était vous… Voilà plusieurs années déjà que j’entends parler de vous, de vos crimes. Je savais que vous aviez quitté Rome et que vous vous dirigiez vers la France, vers Paris. Et je supposais que ce voyage n’était pas seulement une fuite en avant, mais qu’il pouvait m’être fatal, mais comment aurais-je pu supposer que cette femme, je la connaissais si bien et si mal en même temps. Comment, comment tout cela est-il arrivé ?
— Vous avez raison, mon ami. Vous avez droit à quelques explications et c’est par là qu’il faut commencer. Respirons ensemble le parfum des fleurs fanées… »
L’enfant roi rapproche sa chaise de son narrateur.
Il veut savoir et pourtant il redoute d’entendre la vérité.
Les roses ne durent qu’un matin. L’enfant de l’amour
« — Tu avais vingt ans, j’en avais dix-sept. Je n’ai pas choisi cette date au hasard pour célébrer nos retrouvailles. Le 22 mai 1622, nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes aimés, nous avons échangé notre premier baiser. Je venais de t’entendre, la veille. Monsieur Hieronymus Kapsberger avait été chargé d’écrire par les Jésuites du collège romain, tes premiers maîtres, un spectacle célébrant la vie de leur fondateur, Ignace de Loyola. Il fallait fêter avec éclat la canonisation du saint patron. C’est à toi, l’ancien élève aux talents multiples, que l’on confia le rôle-titre. Moi, fille de petites gens, de vendeurs ambulants, je ne songeais qu’à chanter tout le jour. J’avais des rêves démesurés, des rêves qui n’étaient pas pour moi, pour une fille de ma condition, disaient les autres. Je rêvais de musique, d’opéra, de me draperdans la pourpre des costumes, de mourir entre les bras de mon amant, sur une scène de théâtre. J’allais partout où l’on jouait la comédie, je me mêlais à la foule quand la farce était publique, j’escaladais les murs ou je grimpais aux arbres quand il fallait payer. Le plus souvent je voyais briller au loin, sous la lumière des chandelles, ces dieux, ces magiciens, ces fées, ces astres descendus du ciel. Leurs chants clairs et pénétrants venaient mourir à mes oreilles. Je ne songeais qu’à les égaler. Faute d’un maître de musique, qui m’eût appris à perfectionner mon art, je prenais la nature pour modèle. J’accordais ma voix à celle du rossignol. Je restais dans les églises,
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