Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
me plaît et je n’en veux pas d’autre. Il nous a recommandés, et Hercule jouera encore, sinon à l’hôtel de Bourgogne, du moins chez mon oncle, où il y aura fête et où l’on sera forcé de nous recevoir, avec les honneurs ! Ah, qu’il essaye donc maintenant de m’assassiner ! Devant tous ! Ah, si vous aviez vu son masque tomber quand il me rencontra sain et sauf, ce matin ! Remarquez qu’il avait anticipé une défaite, puisqu’il venait me précéder et se couvrir, au cas où ses hommes auraient échoué. Mais c’est encore madame son épouse qui va tomber de haut, quand son diable de mari va lui rapporter la nouvelle. Je crains, monsieur , dit le gentilhomme au don Juan, que sa porte ne soit désormais fermée.
— Eh oui, cette belle histoire ne pouvait durer qu’un soir, répond celui-ci . Mais si je puis me permettre, je crois qu’il ne vous reste plus qu’à prendre la relève.
— Que voulez-vous dire ? demande le gentilhomme, stupéfié .
L’aventurier s’explique . Il met sur les points sur les i :
— Frappez là où l’homme est sensible, du côté de la femme. La femme est la faiblesse de l’homme. Voilà bien le moyen de porter à votre oncle un coup dont il ne se relèvera pas.
— Quoi ? Passer après vous dans le lit de cette intrigante ? Respirer votre odeur dans ses draps ? Vous vous égarez, monsieur ! répond le gentilhomme, en s’écartant d’un pas du dangereux séducteur. D’abord, la chose est contraire à mes principes. Ensuite, j’aime. Mon cœur est pris.
Don Juan de Tolède reste désinvolte. Il prend ses aises, confortablement installé sur sa chaise et réplique aussitôt :
— Qui vous parle d’engager votre cœur ! La belle affaire ! Laissez-le à d’autres ou gardez-le pour vous seul, mais en l’occurrence, profitez de vos charmes, vengez-vous en montrant le peu de rancune que vous avez pour cette belle épouse et sa basse manœuvre.
Mais Edmond garde ses positions. Mieux, il les affirme.
— Je le répète, monsieur, je ne peux trahir mon serment. Je suis venu à Paris défendre ma cause, mon oncle m’a spolié de mon héritage, et si je veux recouvrer mes droits, ce n’est pas tant pour faire fortune que pour combler les désirs de cette femme qui est l’unique objet de mes pensées.
— L’avez-vous demandée en mariage ? questionne brutalement don Juan de Tolède.
— Non, monsieur, répond Edmond, en vérité, elle ignore tout de mes sentiments.
— Mais c’est un conte de fées, votre histoire !
— Monsieur, je vous défends ! s’exclame le gentilhomme en portant la main à son épée, vous avez tenté de me tuer hier au soir, avant de me sauver la vie, en tournant casaque. Ne me faites pas oublier votre courage par ces mots, ce langage et ces appréciations qui ne sont pas d’un gentilhomme !
L’aventurier soutient le regard de son interlocuteur et lève la main, en signe de paix.
— Eh bien, ne vous emportez pas, monsieur ! En vérité, vous avez toute ma sympathie, croyez-le ou non, je ris par habitude, mais je n’estime rien comme la noblesse de vos sentiments. Et je vous souhaite d’être aimé aussi sincèrement, aussi religieusement que vous aimez cette femme choisie entre toutes.
Le ton est franc, ce don Juan ne se moque pas le moins du monde. Peut-être même n’a-t-il jamais été aussi sérieux.
Quant à moi, me voilà fixé.
Le cardinal de Mazarin peut dire adieu à son champion. La place est prise.
Le repas terminé, monsieur de Villefranche me prend à partie. Nous abattons notre jeu. Il sait qui je suis, qui m’envoie, désormais nos affaires sont liées et nous faisons corps.
L’oiseau de mauvais augure est pris en chasse par un homme au regard d’aigle
J’ai l’après-midi devant moi. Lanteaume attendra bien jusqu’à demain. Mon prochain rendez-vous n’est qu’à minuit. Mais plutôt que de rester les bras croisés, je veux poursuivre une enquête parallèle, apparemment parfaitement détachée de cette affaire des Importants . Oui, je veux retrouver cet homme qui nous a espionnés hier au soir : cet homme que Bastoche a aperçu sur la place, cet homme qui a tout d’un assassin sur gages, cet homme que je bousculai par inadvertance avant d’échanger avec lui quelques mots sibyllins, sans tenir ma main trop éloignée du fourreau de mon épée.
Bastoche m’a donné son adresse, rappelons-nous. Il loge dans l’hostellerie La Belle Jeanne , auberge où l’on ne dort plus depuis
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