Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
engagé pour vous tuer. Mais notre homme est un meurtrier patient et précautionneux. Il étudie sa proie avant de l’affronter, la sonde en profondeur, afin de déjouer ses forces, d’user de ses faiblesses. Voyons d’abord pour votre force : il eut le privilège de vous voir à l’œuvre, dans la peau du duelliste. Nul doute qu’il en tira la conclusion suivante : Ce trompe-la-mort ne craint pas de se battre seul contre deux, il touche et fait mouche, d’une main froide. C’est un maître. L’affaire est loin d’être jouée d’avance. Voyons pour votre faiblesse ensuite : si la morale ne vous retient pas, si le plaisir, le danger, les femmes et la mort vous attirent, vous n’êtes pas seulement le libertin sans vergogne ou l’homme de bronze que vous paraissez être. Vous avez du cœur et pour vous le besoin d’argent n’est qu’un moyen de courir l’aventure. Vous prenez celui qui ne vous appartient pas comme vous donnez le vôtre. Cela, notre individu en prit bonne note. Vous pouvez vaincre monsieur de Villefranche, mais quand d’autres viennent en renfort, par panache, vous changez de face.
— Méfiez-vous, d’Artagnan, dit don Juan d’un air désinvolte, quoi qu’en dise Son Éminence, je suis des plus inconstant, tel un nuage en plein vent.
Je souris et je poursuis :
— Donc, voici comment je vois les choses. Il sait où vous logez, où vous trouver. Le coup du vol (le vol de son argent au pied de cette auberge que vous venez de regagner au petit matin) est un leurre. Il paye en sous-main ce jeune voleur pour que tous le voient détrousser ce voyageur (son employeur) qui vient de mettre pied à terre. Le bruit vous attire dehors, vous trouvez bon air à ce monsieur… vous riez un peu dans votre barbe de voir comment cet arrivant s’est si vite laissé dépouiller. Un indifférent en serait resté là. Pas vous. L’homme est démuni, vous avez avec vous le salaire du crime (pris sur les assassins mis en échec). C’est plus qu’il vous faut. Au lieu de tout garder – et notre homme compte bien tenter sa chance en misant sur votre générosité irréfléchie –, vous partagez le tout avec cet inconnu. Le lien est fait. Votre ennemi est votre débiteur. Ilest entré dans votre cercle. On ne se méfie pas assez d’un homme à qui l’on donne ce qu’il n’a pas demandé. Cet inconnu n’a plus d’idées préconçues. Le reste est affaire de circonstance. Vous allez lui offrir, sans prendre garde, une occasion comme il n’aurait pu en rêver. Vous l’entraînez dans un tripot. Il gagne. La chance est de son côté, cela le met en confiance. Quel service puis-je vous rendre ? demande-t-il . Et vous arrangez ensemble cette intrigue galante grâce à laquelle il va pouvoir croiser le fer sans que vous songiez à vous défendre contre un véritable adversaire. C’est l’opportunité idéale. Bastoche eut l’heureuse idée, la veille, de le suivre jusqu’à son gîte. Je me rends là-bas, en plein après-midi pour tenter de voir ce que manigance ce mystérieux rôdeur. J’arrive quand il sort. Je le suis. Il va frapper à la porte d’un commerçant douteux. N’entre pas qui veut. Il y a un signal. Je fais mon enquête après son départ. Oh… le bouge n’a rien d’une maison spécialisée ayant pignon sur rue. Diable, nous ne sommes pas en Italie où ces choses se passent au grand air. Il ne s’agit pas d’acheter à sa valeur, sans masque au visage, un poison distillé par un artisan éclairé, l’un de ces couteux remèdes, qui depuis l’avènement des Césars, ont changé tant de fois le cours de l’Histoire. Nous sommes en France, à Paris, et l’on se cache, on travaille en amateur, dans une pièce ténébreuse, dans un cul-de-sac noir comme l’Enfer. Bref, notre homme a payé à prix d’or un produit incertain, dont il enduira sa lame. Deux précautions valent mieux qu’une. Vous êtes invincible, il sera retors. Qu’il vous griffe seulement et vous êtes mort. Mais tout ne s’est pas déroulé comme il le souhaitait.
— Ainsi cet homme qui a la face d’un monstre fut ce soir quelque chose comme mon ange gardien. Il a pris le coup que j’aurais dû recevoir, ce n’était pas mon heure, mais la sienne.
— Et savez-vous pourquoi cet homme cherche à vous tuer ?
— Il faudrait d’abord savoir qui l’emploie. J’imagine qu’il a fait du chemin. Il n’est pas impossible qu’il m’ait suivi depuis Rome. Mais enfin ce ne sont pas les ennemis qui
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