Don Juan
n’avait pas retrouvé le repos de l’esprit, mais du moins avait-il assez fatigué son corps pour espérer trouver quelque oubli dans le sommeil.
Il entra dans la salle d’honneur de l’hôtel d’Arronces, et un pâle sourire éclaira sa physionomie quand il revit sa fille.
Léonor était là…
Elle était assise près d’une table sur laquelle brillait un flambeau à trois branches et s’appliquait à l’attentive lecture d’un livre d’heures d’où elle espérait voir surgir la consolation, mais sa pensée ne suivait qu’avec peine des lignes mystiques au long desquelles ses yeux cherchaient la prière… la prière était en elle et non dans ces pages aux majuscules enluminées.
Lorsque le Commandeur entra, elle ferma le livre, et vivement, s’avança au-devant de lui.
– Mon père, dit-elle en lui saisissant les mains, ne prendrez-vous pas un peu de repos ?
Il la serra tendrement dans ses bras et il dit :
– Laisse-moi te regarder, ma petite Léonor… Tu es une véritable Ulloa, toi… Oui, cela se voit à tes beaux yeux de loyauté… et aussi à cette dague que je vois à ta ceinture… Vienne l’occasion, tu saurais t’en servir, dis ?
Elle répondit avec fermeté :
– Oui, mon père. Et c’est pour m’en servir, vienne l’occasion, que je l’ai mise à ma ceinture…
Et comme il continuait à la serrer dans ses bras, comme un soupir terrible de douleur gonflait sa large poitrine, elle osa :
– Mon père… ô mon noble père… j’ai une grâce à vous demander…
– Une grâce, toi ?… Parle, ma fille… mon unique fille ! Elle se laissa glisser à genoux :
– Ô mon père, si vous voulez qu’un peu de joie rentre dans mon cœur, retirez la malédiction qui, ce matin, en ce matin à jamais terrible à ma pensée, vous échappa ! ô mon père, la malédiction échappa à vos lèvres… elle n’était pas dans votre cœur !… Retirez-la, retirez-la !
Don Sanche d’Ulloa fronça ses blancs sourcils, et, avec bonté :
– Relève-toi, ma fille, et parlons d’autre chose…
Elle obéit. En ces âges, l’obéissance de l’enfant était absolue et naturelle. Léonor ne pouvait demeurer à genoux puisque son père lui disait : relève-toi…
– Tiens, continua-t-il, parlons de ce magnifique hôtel que ce bon François m’a donné. Vois la splendeur de cette salle… Les beaux meubles, par ma foi !… Ces Français sont d’habiles et ingénieux artisans. Par saint François, je n’ai rien vu de plus beau, même à Madrid.
Léonor joignit les mains. Les larmes coulèrent de ses yeux…
– Ô mon père ! Dire que vous l’avez maudite !… Oh ! si, comme moi, vous l’aviez vue à son lit de mort ! Oh ! si vous aviez pu voir ce pauvre visage figé où se devinait toute la honte de son âme pure, où se lisait tant de douleur ! Oh ! si vous aviez pu voir cette blanche figure d’ange aux ailes brisées !… Amarzyl me disait : « Tâchez de la faire pleurer ! Il faut qu’elle pleure ! Et cela, peut-être, la sauvera. » Hélas, mon père, sotte et coupable que je suis, je ne pus réussir à la faire pleurer ! Je ne trouvai point les paroles qu’il fallait… que vous eussiez trouvées, vous ! Les paroles de pardon, mon généreux père !… Père, ô père ! vous l’avez maudite !…
Sanche d’Ulloa garda le silence. Mais, en lui-même, il admirait sa fille. Il éprouvait une sorte d’amer plaisir à se dire, à se jurer qu’il n’avait jamais eu qu’une fille unique, mais qu’en cette enfant s’incarnait toute la générosité.
– Mon père, continuait Léonor, on dit que près des hommes, invisible, mais sans cesse présent, rôde toujours l’ange des malédictions. On dit qu’il écoute ce qui se dit sur cette terre. On dit qu’il entend toute malédiction, si loin de lui qu’elle soit proférée… Cette malédiction, il la recueille et la porte aux pieds du trône de Dieu. Ô mon père, la malédiction reste là, dit-on, jusqu’à ce qu’elle soit retirée. On dit, mon père, on dit que tant que la malédiction n’a pas été retirée, l’âme maudite erre dans les limbes jusqu’au jour du jugement où celui qui a maudit et celle qui a été maudite comparaîtront ensemble devant celui qui juge. Quelle douleur, ô mon père ! Quel tourment de savoir qu’il n’y a pas de repos pour l’âme de Christa !…
Don Sanche d’Ulloa tressaillit. Et, gravement, il dit alors :
– Je savais
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