Don Juan
qui s’était attendu à quelque véhémente apostrophe sentit un rapide frisson lui parcourir l’échine. Mais il jeta un regard sur Léonor. Et, dans le même instant, il n’y eut plus en lui que la volonté de la conquérir. L’amour se déchaîna dans son cœur. En cette seconde, il choisit l’attitude qu’il devait prendre.
Le Commandeur d’Ulloa marcha tranquillement jusqu’à don Juan et le regarda…
Lentement, don Juan s’inclina, se courba… lentement, il se mit à genoux… et alors, levant vers le Commandeur des yeux où éclatait toute la douleur humaine, d’une voix d’infinie douceur, d’un accent de tristesse ineffable, il dit :
– Père, maudissez-moi comme vous avez maudit Christa… Père, pardonnez-moi d’être entré ici en vous demandant compte de votre outrage… Père, dites que je suis un lâche, si tel est votre bon plaisir… Père, outragez-moi, frappez-moi, tuez-moi, mais daignez me permettre de vous ouvrir mon cœur… Père, je vous supplie de me laisser parler !…
– Debout ! dit rudement le Commandeur.
Juan Tenorio obéit. Et quand il fut debout, son attitude fut celle d’un prodigieux créateur d’émotion : son humilité rayonnait de fierté ; son orgueil était couvert de modestie. Il était impossible de ne pas voir en lui un brave capable de toutes les audaces, mais qui se prosterne volontairement devant un seul homme au monde : le père de celle qu’il aime.
Devant cette attitude, une sombre, une ardente, une farouche curiosité se saisit de Sanche d’Ulloa. En cette minute, ce géant accomplit un tour de force : il parvint à dominer l’effrayante fureur qui se déchaînait en lui ; il parvint à se dompter, ordonna à ses poings redoutables de ne pas s’abattre sur le crâne du séducteur, à ses doigts de ne pas le saisir à la gorge… Il râla :
– Vous avez à me parler ?
– Oui, monseigneur, dit don Juan. Et vous me tuerez après.
Et vers Léonor, il glissa la mince coulée de son regard, et il frémit de rage à la voir telle qu’il l’avait déjà vue en chacune de ses rencontres avec elle : suprêmement indifférente…
– Parlez, dit le Commandeur.
Chose étrange, il ne songea nullement à lui demander comment il était entré dans l’hôtel. Il le dévorait des yeux. Il se disait : Voici devant mes yeux le vivant déshonneur de mon nom, et je ne l’ai pas encore tué !…
Non ! Il ne l’avait pas encore tué ! Don Juan venait de réussir la manœuvre qui a sauvé tant d’hommes aux instants critiques, – tant d’hommes, tant d’empires aussi :
Gagner du temps !
Gagner une minute, c’est quelquefois sauver sa vie, c’est parfois la possibilité de passer tout à coup du malheur au bonheur. Gagner une heure ! Gagner quelques jours ! Gagner un mois !… Que d’êtres aux abois ont dû leur salut à cette difficile manœuvre !
Et c’est ce qu’il y eut d’admirable dans l’attitude de don Juan.
Logiquement, il eût dû déjà être mort. Il était vivant. Et il avait permission de parler !…
Il parla. Et tout ce que la voix humaine peut contenir de charme, d’attendrissement, de douceur et de loyauté, et de douleur… tout cela, il le mit dans sa voix.
– Monseigneur, Christa ne fut point coupable ! Monseigneur, vous n’aviez pas le droit de la maudire ! Monseigneur, Christa ne fut jamais pour moi qu’une amie… une sœur à qui je confiai le secret de mon cœur et qui daigna m’entendre !…
– Oh ! murmura Léonor frémissante. Que dit-il ?…
Ulloa jeta un long regard sur sa fille. Et déjà, il y avait un doute dans son esprit ! Déjà il se demandait si Léonor ne s’était pas trompée en lui faisant son terrible récit…
– Si j’hésite, songeait don Juan, je suis perdu. Mon mensonge est sacré puisqu’il nous sauve tous, peut-être ! – Monseigneur, continua-t-il avec une émotion contenue, Christa est morte pure, et moi, oh ! moi, je serais mort plutôt que de lui dire un seul mot d’amour ! Ah ! vous me croirez, oui, par le ciel, par le Dieu vivant, vous me croirez quand je vous aurai dit : Monseigneur, je ne pouvais point parler d’amour à Christa puisqu’elle était la confidente de mon amour pour Léonor !…
Le Commandeur eut un mouvement. Léonor allait s’élancer pour crier son indignation. Don Juan s’inclinait pour dissimuler son sourire de triomphe…
– IL MENT ! dit une voix.
Ce fut une voix très distincte bien que
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