Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
armes pour résister à leur insolence ou à leurs exactions, et le parti vaincu députait auprès du Dedjazmatch quelques-uns des siens, qui allaient déployer devant lui les toges sanglantes des blessés ou des morts et lui demander justice.
Ces bandes, qui constituent la force directement aux ordres du Dedjazmatch, ne reçoivent, comme on vient de le voir, qu'une paye minime, et sont entretenus par subventions en nature, lorsqu'elles ne sont pas réparties en subsistance dans les districts, dits yé-guébétas (terres domaniales du Polémarque). Elles exercent aussi un droit de logement et d'hébergement sur presque toutes les terres de la mouvance du Dedjazmatch.
De même que ceux qui s'enrôlent au service des titulaires de fiefs, ces soldats sont regardés comme engagés pour l'année. Si, l'année suivante, l'investiture est confirmée au même titulaire, il est loisible aux soldats de prendre leur congé. Ceux qui s'enrôlent au moment d'une campagne, au service de possesseurs d'alleux, de majorats, ou de fiefs héréditaires, ne sont regardés comme engagés que pour la durée de la campagne, et, dès qu'elle est terminée, ils peuvent se retirer avec leurs armes, bagages et montures, qui sont toujours leur propriété personnelle. Les fusiliers seuls sont tenus de remettre leurs carabines à leur maître.
Les désertions sont assez fréquentes. Lorsque la désertion a lieu au commencement d'une campagne, les coupables sont dépouillés de leurs armes et bagages, et quelquefois même punis du fouet. La désertion en face de l'ennemi est punie quelquefois par l'amputation de la main ou du pied.
Ce qu'on pourrait appeler le cadre de l'armée est formé par les possesseurs d'alleux, tant nobles que roturiers, et un certain nombre d'hommes de toute provenance, qui se sont inféodés à la fortune du Dedjazmatch. Lorsque le Dedjazmatch passe du gouvernement d'une province à celui d'une autre, il n'emmène avec lui que ces derniers, qui forment le noyau autour duquel se grouperont les seigneurs de la province dont il va prendre le gouvernement. Chaque Dedjazmatch, chaque hobereau même, entretient un certain nombre de suivants, tant soldats que notables, de cette catégorie, sur lesquels l'usage leur accorde des droits d'une durée bien plus grande que sur leurs autres soldats. Ces comites , ou compains, vivent dans une dépendance qui, pour être volontairement consentie, ne leur devient pas moins quelquefois fort à charge; heureusement, l'opinion publique tempère presque toujours la prétention du maître à exiger une fidélité perpétuelle. Ils partagent en toutes choses sa fortune, et, lorsqu'il est dans l'adversité, ils font souvent preuve d'un dévouement qu'on trouve rarement ailleurs.
Tout chef militaire exerce sur ses subordonnés un droit de basse justice, comme tout fivatier sur les habitants de son fief. Mais leurs jugements sont soumis à l'appel hiérarchique, qui, au besoin, les fait aboutir au plaid du Dedjazmatch. Quant aux affaires criminelles, après une première instance, ils sont tenus de les porter en Cour du Dedjazmatch, qui seul exerce le droit de haute justice. Tout homme est responsable, dans sa personne ou dans ses biens, des crimes et délits commis par ses subordonnés. Il ne peut être relevé de cette responsabilité que par une décision judiciaire.
Selon les usages locaux, qui sont très-variés, les titulaires de fiefs ont la jouissance intégrale ou partielle des impôts; dans certaines localités, ils sont tenus de donner au suzerain telle ou telle somme en reconnaissance de l'investiture: ici, un cheval de guerre; là, une mule; ailleurs, une carabine ou des bêtes de somme, un certain nombre de mesures de blé, ou ils sont tenus enfin, d'entretenir un nombre fixé de soldats du Prince.
La nature et la quotité des impôts, redevances et corvées varient selon les localités et sont un motif fréquent de désaccord entre le fivatier et ses vassaux; le fivatier a quelquefois recours à la violence, quelquefois aussi les vassaux se soulèvent en armes et le chassent de la commune. Ces différends aboutissent toujours en cour du Dedjazmatch. Du reste, la vivace organisation communale et la dépendance réciproque des gouvernés et des gouvernants suffisent ordinairement à réfréner les empiètements et les exactions des seigneurs.
Telle est, à quelque différence près, l'organisation de la maison des Ras, Dedjazmatchs, Maridazmatchs, Graazmatchs, Kagnazmatchs,
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