Douze
de l’humour tordu. C’est assez dur à avaler, mais c’est la meilleure option.
— Mais j’ai vu Matfeï, arrachant de ses dents la chair de la gorge d’un homme !
C’était désormais moi qui élevais la voix.
— Tu n’as pas dû bien voir.
Je repris mon souffle. Il semblait que je doive leur exposer ce que j’avais vu de mes propres yeux, quel qu’en soit le risque. Avant que je puisse parler, Dimitri vint à mon secours.
— C’est vrai, Vadim. J’ai vu bien davantage qu’Alexeï. Pas ici, mais en Valaquie. Je savais ce qu’ils étaient lorsque je les ai appelés ici.
— Et tu as décidé de ne pas nous le dire, déclara Vadim.
— Je leur avais promis de garder leur secret.
— Ce n’était pas à toi de prendre cette décision.
— Cela faisait partie de l’arrangement. Ils ne seraient pas venus sinon. (Il pouvait voir que Vadim n’était toujours pas convaincu.) Nous avons besoin d’eux, Vadim. Au fond, ce sont des soldats très efficaces. Ils ont tué ceux que l’on voulait leur faire tuer. Ils vont nous aider à chasser les Français. Tu ne veux quand même pas gâcher tout cela, non ?
Il parlait uniquement à Vadim. Cela n’avait guère de sens d’essayer de me persuader.
— Oublions-les un instant, déclara Vadim. Je n’ai aucun différend avec eux, capitaine Petrenko. (Son ton était des plus formels et, par conséquent, des plus furieux.) Mon problème est de savoir pourquoi tu as choisi de ne pas nous dire ce que tu prétends savoir.
— Dans ce cas, réglons ce problème plus tard. Nous sommes en pleine guerre.
Je n’avais jamais entendu Dimitri – ni aucun d’entre nous – parler à Vadim de manière aussi ouvertement contestataire auparavant. Vadim n’était pas du genre à régner sur ses subordonnés, mais Dimitri entrait en territoire inconnu quant à ce qu’il pourrait accepter.
Vadim se couvrit le visage de ses mains et respira profondément.
— C’est de la folie, dit-il, de se quereller pour savoir si tu aurais dû me dire qu’ils étaient des vampires ! Je devrais vous passer un savon à tous les deux pour être aussi crédules !
— Peut-être ferions-nous mieux d’en discuter plus tard, interrompis-je, faisant un signe de tête vers l’autre côté de la place, où j’avais vu deux silhouettes approcher.
À cette distance, je ne voyais pas bien qui était le plus petit des deux, mais c’étaient indubitablement des Opritchniki et le plus grand ne pouvait être nul autre que Iouda.
Vadim et Dimitri se séparèrent, essayant d’adopter une certaine nonchalance vis-à-vis des créatures qui s’approchaient de nous.
— Nous en reparlerons, Dimitri Fétioukovitch, murmura Vadim avec un sourire artificiel. Si ce que tu dis est vrai, ce n’était vraiment pas une façon pour Maxime de mourir.
— Alors quelle est la bonne manière de mourir pour un traître ? répondit sèchement Dimitri.
Avant que quiconque ait pu ajouter quoi que ce soit, les Opritchniki nous avaient rejoints.
C’était Ioann qui l’accompagnait mais, comme à l’accoutumée, Iouda assura toute la conversation.
— Bonsoir, Vadim Fiodorovitch, Dimitri Fétioukovitch, Alexeï Ivanovitch.
Chacun de nous lui rendit son salut.
— Comment progresse votre travail ? demanda Vadim.
— Conformément aux plans, répondit Iouda. Nous nous restreignons pour ne pas provoquer la panique. À l’heure actuelle, les incendies causent autant de difficultés aux Français que nous-mêmes.
— Je pense qu’ils sont maintenant presque éteints, dit Vadim. Les Français se sont suffisamment organisés pour y faire face. De plus, il ne reste pas grand-chose à brûler.
Il dit cela avec une désinvolture qui déguisait la profondeur de nos sentiments face à la dévastation de la ville.
— Bien. Ils ont été une source de grande inquiétude pour moi et mes amis. En fait, nous n’avons pas vu certains de nos amis depuis plusieurs jours, dit Iouda. Y en a-t-il qui sont venus à vos rendez-vous ?
— Nous avons vu Matfeï et Varfolomeï la nuit dernière, déclara Dimitri.
— Nous ?
— Vadim Fiodorovitch et moi-même.
— Ainsi vous n’étiez pas à ce rendez-vous, Alexeï Ivanovitch, dit Iouda en se tournant vers moi.
Je me demandai s’il savait déjà ce qui était arrivé à Matfeï et Varfolomeï et s’il tentait de lire dans mes pensées. J’étais soulagé que Dimitri n’ait pas mentionné le fait que je les avais suivis.
— Non, je n’ai pas pu. Mais la
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