Douze
tuer Ioann était fondé uniquement sur ce qu’il était, et non sur ce qu’il faisait. Je le soutenais dans ses actes mais condamnais sa nature. C’était dans le but contraire que j’avais laissé Max mourir.
Après ses trois repas, les déplacements de Ioann étaient devenus moins furtifs. Comme je l’avais observé chez Matfeï la nuit précédente, une fois que leur faim était rassasiée, les Opritchniki devenaient un peu moins agiles. Sa démarche était plus raide – plus fière – et, si ce n’était les circonstances dans lesquelles se trouvait la ville, il aurait pu être pris pour un personnage mondain de Moscou, de retour d’une nuit de jeu ou de danse.
Avec l’aide de Dimitri, la poursuite était bien plus simple qu’elle l’avait été seule. Dans une ville, il existe une méthode bien établie pour que deux hommes en poursuivent un troisième. Les poursuivants n’ont jamais besoin de s’approcher de leur proie ; ils n’ont même pas besoin de faire le moindre pas sur le chemin qu’il a suivi. Tandis que l’un reste à l’arrêt pour observer où se rend la cible, l’autre prend en courant une rue latérale pour prendre de l’avance sur lui. Une fois qu’il est parvenu à un nouveau point d’observation, les rôles sont inversés. L’homme poursuivi ne voit jamais les déplacements et ne se rend jamais compte qu’il est traqué.
Cette approche était rendue plus compliquée par le fait que j’essayais instamment de me soustraire à Dimitri tout en gardant la trace de Ioann, parce que je savais que Dimitri tenterait de faire échec à mon objectif de supprimer au moins l’une de ces répugnantes créatures de la nuit. Dimitri sembla deviner que je manigançais quelque chose et il passa ainsi autant de temps à me poursuivre moi qu’à m’aider à traquer Ioann.
En dépit de ces subtilités et de la pluie incessante qui se mit à tomber au cours de la nuit, nous ne perdîmes pas de vue Ioann. Son lieu de repos s’avéra n’être pas très éloigné de l’endroit où nous les avions retrouvés, Iouda et lui, un peu plus tôt cette nuit-là : près du pont Kouznetski, dans le quartier français qui avait pour le moment réussi à échapper aux flammes. Il était situé dans une zone densément bâtie, où les limites entre les différentes propriétés d’un pâté de maisons étaient si indistinctes qu’une même porte d’entrée aurait pu conduire à trois maisons au moins. Fait remarquable, ces bâtiments avaient aussi été – jusqu’à présent – épargnés par les incendies qui avaient déjà consumé bon nombre de leurs voisins. Ioann monta discrètement l’escalier menant à une porte et se glissa à l’intérieur.
— Autre chose que tu as envie de voir ? demanda Dimitri sans enthousiasme.
— Oui, répondis-je. Je veux voir où il va.
— Il est entré là-dedans. Il ne va plus nulle part ce soir. Dans une heure, ce sera l’aube.
Mais j’étais déjà parti pour voir précisément où dans le bâtiment s’était couché Ioann. Le fait que je n’avais pas été en mesure de me débarrasser de Dimitri ne serait pas un obstacle permanent à mon objectif. Si je pouvais voir où il dormait, je bénéficierais alors d’une journée complète éclairée par le soleil pour revenir et annihiler Ioann avec la méthode de mon choix.
J’atteignis la porte, encore entrouverte, comme l’avait laissée Ioann, et je jetai un coup d’œil à l’intérieur. Je ne pus rien voir d’autre qu’un corridor vide. J’entendis des pas derrière moi. C’était Dimitri, refusant clairement (et de façon censée) de me laisser seul avec Ioann, même pour quelques minutes.
— Tu vois quelque chose ? demanda-t-il.
Je secouai la tête et poussai la porte pour l’ouvrir. Il y avait trois portes donnant sur le couloir, ainsi qu’une volée de marches. Sous l’escalier, une quatrième porte, ouverte, conduisait indubitablement à la cave. C’était sûrement là que Ioann s’était rendu.
Mieux préparé que la nuit précédente, j’avais apporté une bougie, que j’allumai. Je la tins devant moi tandis que nous descendions l’escalier. Dimitri me suivait de près, sa main posée sur mon dos. Une crainte soudaine m’étreignit. Si nous devions faire face à Ioann – et peut-être aussi à d’autres Opritchniki –, quel camp Dimitri choisirait-il ? Cette main sur mon dos, était-elle là pour me calmer et me rassurer, ou se pouvait-il que, si je faisais
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