Douze
C’était le site du théâtre Petrovka, l’un des rares endroits à Moscou assuré d’être à l’abri des incendies qui avaient détruit les deux tiers de la ville, ayant déjà été réduite en cendres dans un autre incendie quelque sept ans plus tôt. Nous devions nous retrouver à l’angle nord-ouest du site en ruine. Je traçai mon message à la craie sur un mur bas puis attendis, observant à distance, espérant que Vadim allait arriver, priant que ce ne soit pas le cas des Opritchniki.
J’attendis deux heures avant d’être certain que Vadim ne viendrait pas. J’eu presque toute du long la sensation d’être épié. J’observai autour de moi à plusieurs reprises et ne vis personne de notable, et encore moins un vampire. Je n’avais toujours aucune raison de supposer qu’ils nourrissaient la moindre suspicion à mon encontre, mais il était risqué de me montrer à un lieu de rendez-vous qu’ils connaissaient, d’où ils pouvaient me suivre et découvrir où Dimitri et moi dormions, avec le cordonnier innocent et sa fille. C’était, toutefois, un risque que je devais prendre. C’était déjà une trahison suffisante d’abandonner Vadim en ville, même si c’était précisément ce qu’il avait indiqué comme l’une des issues auxquelles nous pouvions être contraints. Je devais au moins faire un effort pour le contacter, même si la tentative échouait.
Je me dirigeai de nouveau vers le bidonville et parcourus la faible distance par des voies détournées. Je ne pense pas avoir été suivi. Tandis que je m’approchais de l’espace minuscule, j’entendis Dimitri et Natalia parler. Dimitri était allongé sur l’emplacement désigné comme étant le lit, éclairé par la flamme vacillante d’une chandelle. Natalia était assise à ses côtés. Boris était endormi dans le coin.
— Te voilà enfin ! s’exclama Dimitri lorsque j’entrai. Où étais-tu ?
— J’attendais Vadim, expliquai-je, mais il n’est pas venu.
— Veux-tu attendre une journée de plus ?
Je ne me sentais pas enclin à attendre une minute de plus.
— Non, c’est trop tard. J’ai déjà organisé notre transport pour demain. Nous devrons partir d’ici avant l’aube.
— Où comptez-vous aller ? demanda Natalia.
— À Iouriev-Polski, répondis-je.
— Pourquoi ? demanda Dimitri, bien que je le soupçonne de le savoir parfaitement.
— Pourquoi pas ?
Nous restâmes assis en silence pendant un moment, accompagnés uniquement par la respiration creuse de Boris.
— Veux-tu venir avec nous, Natacha ? Avec ton père ?
C’était une requête surprenante de la part de Dimitri, aussi surprenante que son utilisation du surnom familier « Natacha » au lieu du prénom plus formel « Natalia ». Elle s’était occupée de lui pendant deux jours — il n’avait été conscient que pendant l’un des deux –, mais cela avait clairement eu un effet sur lui. Je n’avais jamais vu Dimitri dépendre de quelqu’un auparavant. Maintenant qu’il y avait goûté, il semblait l’apprécier.
La jeune fille rit.
— Partir ?
— Nous pouvons vous emmener en sécurité, poursuivit Dimitri.
— Nous sommes en sécurité ici. Nous aurions pu partir il y a une semaine, lorsque les Français sont arrivés, si nous avions voulu. (Puis elle se tourna vers moi.) Je croyais que vous deviez tuer tous les Français et leur faire quitter la ville ! m’admonesta-t-elle.
— Dimitri a besoin d’être conduit dans un endroit sûr. Je reviendrai, dis-je, mais je savais que ce n’était pas sincère.
Je m’éveillai tôt et secouai doucement Dimitri. Natalia et son père étaient allongés ensemble, dormant profondément. Des provisions que j’avais achetées la veille, je leur laissai du thé, deux bouteilles de vodka, deux de vin, du pain et du miel.
Il y avait environ deux verstes à parcourir dans la ville jusqu’à l’endroit où, je l’espérais, la voiture nous attendait. Bien que Dimitri soit faible, il pouvait à peu près marcher avec mon soutien et, même si le trajet serait lent, je sentais que nous y arriverions. Ma seule préoccupation était que nous puissions arriver bien après l’aube et que, si nous étions trop en retard, notre contact ne nous attende pas.
Nous n’étions pas arrivés bien loin lorsque j’entendis des bruits de course derrière nous. Un terrible instant, je fus certain que c’était un Opritchnik se préparant à bondir sur nous au moment même de notre fuite. Il ne me
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