Douze
fis cinquante pas avant de comprendre que ces chats étaient tout ce que j’avais vu et entendu au milieu du charbon, mais je n’arrêtai pas de courir. Même si les Opritchniki n’étaient pas là à ce moment précis, ils pouvaient arriver plus tard. Si Vadim venait, il devrait faire attention. Il était assez intelligent pour ne pas s’y rendre, de toute façon plus intelligent que moi. Je détalai jusqu’au bidonville où j’avais laissé Dimitri avec Natalia et son père. Je me calmais peu à peu, mais la terreur courait encore dans mes veines ; une terreur qui aurait dû me frapper lorsque j’avais vu pour la première fois les dents de Matfeï sur la gorge de ce soldat, mais qui maintenant prenait possession de moi en guise de vengeance. Dimitri occupait toujours ce qui faisait office de lit unique. Natalia et Boris dormaient à même le sol boueux, enlacés pour se tenir chaud et se réconforter. Il y avait une bande de terre vide entre eux et Dimitri. Je m’y allongeai, mais le sommeil ne me vint pas rapidement. Lorsqu’il arriva, ce fut un oubli bienvenu.
Je m’éveillai tard le lendemain matin, ayant déjà décidé de la marche que Dimitri et moi devions suivre.
Je sentis une odeur de thé. Je me redressai en position assise et trouvai immédiatement la main de Natalia m’offrant une tasse. Je la pris et bus avec gratitude. Son père était assis à sa place habituelle, sirotant tranquillement son thé.
— Bonjour, Alexeï Ivanovitch.
C’était Dimitri. Il était assis sur son lit de fortune, buvant également du thé, une pomme à moitié mangée à la main.
— Comment te sens-tu ? demandai-je.
Il baissa les yeux vers ses mains et ses bras couverts de cloques. Je remarquai que la paume de sa main gauche, dans laquelle il tenait son thé, était normale ; la droite était rouge, à vif, brûlée aussi gravement que le reste de son bras. Il ne pouvait tenir la pomme qu’avec l’extrême bout de ses doigts, et il faudrait de nombreuses semaines avant qu’il soit de nouveau en mesure de tenir une épée. Il posa sa tasse et leva la main gauche vers le côté droit de son visage. Sans même le toucher, il pouvait sentir dans la chaleur de sa main qu’il était brûlé là aussi. Il regarda sa main boursouflée.
— Est-ce que mon visage a changé ? demanda-t-il.
— Ce n’est pas si grave que cela, lui dis-je. Quand ta barbe aura repoussé, cela se verra à peine.
Si sa barbe parvenait à repousser.
— Que s’est-il passé ?
— Nous étions dans la cave. Nous avons été surpris par le feu.
— La cave où…
— La cave où nous dormions, interrompis-je fermement, ne souhaitant pas que Natalia ou son père en apprennent davantage qu’il n’était besoin.
Dimitri hocha la tête.
Boris sembla comprendre lui aussi.
— Je crois que nous avons des choses à faire, dit-il à sa fille.
Elle le regarda avec surprise, puis prit conscience de ce qu’il voulait dire. Tous deux se levèrent et quittèrent la cellule.
— Je me souviens avoir été pris au piège dans la cave, dit Dimitri. Tu m’as traîné dehors. Ioann et Iouda étaient à l’intérieur. Est-ce qu’ils…
Je secouai la tête.
— Ils ne se sont pas réveillés, mentis-je. Les cercueils étaient trop lourds pour les déplacer. Nous nous en sommes à peine sortis nous-mêmes.
Dimitri hocha la tête d’un air contemplatif. S’il avait compris que c’était moi qui l’avais initialement enfermé dans la cave, il n’en montra pas le moindre signe ; mais, là encore, il m’avait caché beaucoup de choses ces derniers temps.
— Quand cela s’est-il passé ? demanda-t-il.
— Hier.
— As-tu essayé de les rencontrer la nuit dernière ?
J’acquiesçai, me remémorant ma terreur.
— Aucun d’eux n’est venu. Vadim non plus.
— Je ne suis pas certain qu’ils auraient été de la meilleure humeur qui soit si tu les avais vus.
J’eu envie de rire, mais résistai. Je ne voulais pas avoir à expliquer mes craintes à Dimitri.
— Je pense que nous devrions quitter Moscou, annonçai-je.
C’était de la pure lâcheté, mais je savais que Moscou abritait maintenant de trop nombreuses menaces pour que j’aie le moindre désir d’y rester. Et, naturellement, Dimitri avait besoin de temps pour récupérer. Il ne répondit pas.
— Tu n’es pas en état de faire quoi que ce soit, expliquai-je à ma conscience autant qu’à lui. Les Opritchniki peuvent très bien gérer les choses eux-mêmes.
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