Douze
évita le manche de la fourche. Il s’affala sur le dos, juste à côté. J’arrachai la fourche du sol et je la projetai vers la gorge de Piotr. Sa chair n’offrit qu’une résistance momentanée avant de céder délicieusement à ma pression et de laisser les pointes acérées la pénétrer, puis s’enfoncer profondément dans le sol en dessous. Cela ne le tua pas ; cela ne semblait même pas lui faire mal, malgré le sang qui coulait des perforations dans son cou, mais cela l’empêchait de bouger. Son corps se cabra et s’arqua tandis qu’il tentait de se libérer. Il pouvait même soulever légèrement la tête, son cou transpercé coulissant de bas en haut le long des dents de la fourche, mais incapable de leur échapper.
J’avais maintenant deux Opritchniki captifs à ma disposition, mais je n’en avais besoin que d’un seul. Je me retournai vers Iakov Zevedaïinitch. Il luttait toujours pour se libérer de la porte. Cela prendrait quelques minutes, mais il y parviendrait. Je donnai un coup, de la semelle de mon pied botté, au verrou de la porte. Il céda un peu, mais pas totalement. Iakov Zevedaïinitch battit des bras dans ma direction, sans pouvoir m’atteindre. Au second coup, le verrou métallique s’arracha du bois et la porte s’ouvrit brusquement vers l’extérieur, dans la lumière du petit jour, emportant avec elle le vampire tel une veste pendue à une patère, comme Vadim Fiodorovitch accroché à son mur.
C’est seulement alors que Iakov Zevedaïinitch prit conscience de ce que cela impliquait. Son cri n’exprima pas la douleur, mais la peur, et fut rapidement interrompu par une explosion lorsque la lumière du soleil frappa son corps. Ce n’était pas l’explosion brusque et aiguë d’un fusil ou d’un canon, mais un souffle plus lent, moins concentré, comme lorsque de la poudre à canon s’enflamme dans un bol. La porte s’ouvrit aussi loin qu’elle le put, rebondit et se referma. Mon épée saillait encore de l’autre côté de la porte, à hauteur de la poitrine d’un homme. De Iakov Zevedaïinitch, il n’y avait plus aucune trace, à l’exception de quelques lambeaux brûlés retombant de mon épée et d’un léger roussissement du bois, ayant grossièrement la forme d’un homme.
Je me retournai vers Piotr. Il luttait encore pour tenter de se libérer. Je retirai la fourche de son corps et la brandis face à son visage. Il rampa sur le dos pour s’éloigner de moi, dans un mouvement qui rappelait celui d’un crabe, se dirigeant vers la porte comme si cela pouvait lui fournir une échappatoire. J’enfonçai une fois de plus la fourche en lui – cette fois à travers son épaule, pesant dessus de tout mon poids de manière à percer l’os et les tendons résistants – et l’immobilisai. Son expression ne révélait aucune peur, seulement de la haine et du mépris.
— Un nouvel exemple de l’hospitalité russe ? railla-t-il. Vous invitez des gens dans votre pays et ensuite vous les tuez un par un.
— Nous avons peut-être invité des gens, répondis-je, mais ce n’est pas ce que nous avons reçu.
Je jetai un coup d’œil alentour dans la grange et vis les deux taches de sang, réminiscences de ce dont j’avais été témoin quelques heures à peine plus tôt. D’un côté, je voulais l’oublier, mais de l’autre, je voulais vraiment en savoir davantage.
— Je vous ai observés, dis-je, ma voix à peine plus qu’un chuchotement, j’ai vu ce que vous avez fait à cet homme. J’ai vu le corps de cette femme. Les animaux mangent, mais ça… Qu’est-ce que c’était que ça ? Pourquoi avez-vous fait ça ?
Piotr sourit.
— Vous voulez vraiment le savoir ?
— Non, mentis-je instinctivement. Mais dites-moi toujours.
Gêné par les dents de métal qui lui transperçaient l’épaule, Piotr ajusta sa posture comme s’il s’installait pour raconter une longue histoire.
— Nous commençons tous par boire, débuta-t-il, et c’est, en soi, un plaisir, du moins lorsque l’on est jeune et inexpérimenté. Mais, à mesure que nous vieillissons, se contenter de boire devient monotone, alors nous mangeons. Puis manger prend le même tour que boire, alors nous jouons. Puis jouer devient aussi ennuyeux que manger, alors nous torturons. Puis, pour se satisfaire, la torture devient pire. Plus le vampire est vieux, plus il doit aller loin.
Ils étaient, semblait-il, comme moi. J’avais besoin de toujours plus d’intensité dans mes
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