Douze
toute chair, ne laissant que les os qui, eux-mêmes, commencèrent à se consumer. L’extrémité de son majeur prit feu et tomba ensuite sur le sol. Le bord du rayon de lumière trancha net sa main. Tout ce qui était dans l’obscurité était intact. La peau épargnée de sa paume était finement bordée de noir, où la chair avait commencé à brûler puis s’était rétractée dans la sécurité de l’ombre. Du dos de sa main, comme un gant déchiré, pendait un large rabat de peau carbonisée qui avait, de façon similaire, échappé à la lumière du soleil lorsqu’il était tombé de l’os.
Je levai le pied et il ramena précipitamment sa main vers lui. Ses cris s’interrompirent, mais sa respiration était irrégulière. Il expirait des halètements durs et grinçants, mais ses inspirations étaient courtes et rapides. Il faisait face à la fois à la douleur et à la crainte.
— Où sont allés Iouda et Foma ? demandai-je de nouveau, cette fois en criant.
Il ne répondit pas.
Il était difficile de savoir s’il avait seulement entendu ma question. J’étais sur le point de forcer de nouveau son bras dans la lumière quand, comme je l’avais aperçu avec son ongle, je vis l’intégralité de sa main commencer à se régénérer. L’os qui était tombé de son majeur avait déjà été remplacé et des morceaux de chair saine et neuve se formaient sous mes yeux autour de chacun de ses doigts. Une nouvelle couche de peau s’avançait doucement depuis la moitié intacte de sa main. D’ici cinq minutes, tout serait revenu à la normale. Cela expliquait pourquoi mon épée n’avait pas laissé de lacérations sur ses mains et cela expliquait aussi pourquoi Max pouvait prétendre avoir coupé le bras d’Andreï alors que j’avais ultérieurement vu ce dernier avec tous ses membres. Ces créatures étaient (en cela et par bien d’autres aspects) comparables à des araignées. La perte d’un bras ou d’une jambe pouvait s’avérer un inconvénient temporaire, mais ils pouvaient être certains qu’ils repousseraient. Je frissonnai lorsqu’une pensée me traversa l’esprit : j’espérai qu’ils étaient seulement semblables à des araignées. Que le bras d’un vampire puisse repousser était une chose, mais je priai pour que ce bras, une fois détaché, ne puisse pas générer un nouveau corps, comme c’est le cas pour les vers de terre ou les balais de sorcière. Si tel était le cas, il se pouvait qu’il y ait encore dans la nature un autre Andreï auquel je doive faire face.
Pour mes desseins plus immédiats, cependant, c’était une intéressante tournure des événements. L’objectif du tortionnaire est d’infliger à sa victime la plus grande douleur en commettant le moins de dommages : les Turcs nous avaient coupé des doigts, non des bras ou des jambes. La motivation n’est en rien due à une quelconque sympathie pour la victime, mais à la simple compréhension du fait qu’un corps trop endommagé n’est plus en mesure d’éprouver de douleur, ou, de fait, quoi que ce soit d’autre. Mais le vampire est la victime rêvée du tortionnaire. Il est possible de lui infliger une douleur continuelle, car le corps se régénère perpétuellement. Je pouvais amener Piotr aux frontières même de la mort et le laisser revenir à la vie, uniquement pour faire la même chose le jour suivant, et celui d’après. C’était tentant, mais je n’étais pas à ce point un disciple de Sade. Je ne pouvais de toute manière être certain que cela fonctionnerait. Lorsque j’avais été torturé, bien que la douleur physique ait été insoutenable, une partie de ma terreur résidait dans la conscience de la mutilation , du fait qu’il me manquerait à tout jamais ces deux doigts. Si j’avais su que, quel que soit le degré de douleur, je repartirais quand même avec ma main aussi intacte et entière qu’elle l’avait jamais été, la douleur physique aurait peut-être été supportable.
Piotr ne semblait pas voir les choses aussi philosophiquement. La douleur était pour lui très réelle. Et il n’avait pourtant toujours pas répondu à ma question. J’appliquai une nouvelle pression du pied sur son bras. Le soleil s’était légèrement déplacé et, cette fois, sa main tout entière fut exposée à la lumière. Il hurla quand la peau au centre de sa paume éclata et se détacha pour révéler la chair, en train de rôtir. Je la maintins en place jusqu’à ce que la totalité
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