Douze
de sa main ait presque disparu et, même alors, je ne relâchai ma pression que pour atténuer l’écœurante odeur.
— Alors, vas-tu parler ? demandai-je.
Il hocha la tête, essayant de reprendre son souffle.
— Oui, haleta-t-il. Oui.
— Alors ?
— Ils sont à la poursuite des Français. Ils essaient de rentrer chez nous dans les Carpates, mais ils suivront les Français aussi loin qu’ils le peuvent, pour manger.
— Tous les deux ? demandai-je.
Piotr hocha la tête. Je posai de nouveau ma botte sur son bras, mais je n’appuyai pas encore.
— Alors pourquoi ai-je vu Iouda se diriger vers Moscou ?
— Je ne sais pas, répondit-il, essayant de hausser les épaules. Je fis une fois encore descendre son bras, laissant juste brièvement son poignet à vif et ensanglanté toucher la lumière avant de le relâcher.
— C’est bon ! hurla Piotr. (Puis il eut le sourire d’autosatisfaction d’un homme qui, dans sa mort, prévoit l’ultime châtiment qui s’abattra sur son meurtrier.) Il est parti voir votre prostituée. Dominique – c’est son nom. Il va en faire l’une des nôtres. Il pense qu’elle est exactement le genre à se laisser persuader. Et si ce n’est pas le cas, eh bien, regardez dehors si vous voulez voir tout ce que nous pouvons tirer d’un corps humain. Quoi qu’il en soit, vous ne pourrez plus la baiser.
Il émit un rire forcé qui ne traduisait aucun amusement mais qui, espérait-il, contribuerait à ma souffrance.
Je me dirigeai résolument vers la porte. Tandis que je m’en approchais, quelque chose étincela devant moi, sur le sol. Voyant ce que c’était, je me demandai comment cela avait pu arriver là. Puis je me souvins. C’était exactement l’endroit où Foma avait craché quelque chose après avoir mordu le doigt du fermier, la nuit précédente. Je pouvais maintenant voir ce qu’était l’objet qui avait causé autant d’hilarité chez les Opritchniki. C’était l’alliance de l’homme.
Je parvins à la porte et l’ouvris en grand, d’un coup. Derrière moi, j’entendis l’explosion lente et diffuse qui avait accompagné la destruction de Iakov Zevedaïinitch. Je me retournai et ne vis plus la moindre trace de Piotr, à part la fourche privée de soutien, qui oscilla avant de tomber au sol. Un rectangle de lumière brillante se découpa dans la porte, projetant une forme semblable à un cercueil autour de l’endroit où Piotr s’était trouvé, une légère fumée pour seul souvenir.
J’arrachai mon épée de la porte et me mis en route.
Chapitre 25
Mon cheval était encore à Kourilovo. C’était presque à deux verstes. Je courus de toutes mes forces sur la route enneigée, glissant et trébuchant. Je fis une pause au carrefour, épuisé, le souffle court. La corde était toujours enroulée autour du poteau brisé où j’avais attaché Filipp, mais il n’y avait en dehors de cela aucun indice des aventures de la nuit précédente. Je poursuivis mon chemin, tellement essoufflé que je courais probablement plus lentement que j’aurais marché en temps normal. Lorsque je parvins à son niveau, la voiture était toujours renversée dans le fossé. Le cheval mort était resté sur la route, mais l’autre avait disparu, libéré de l’épave par un bon Samaritain ou un voleur de chevaux.
Je continuai jusqu’au village. Dans la rue, je croisai l’homme roux avec qui j’avais parlé la veille au soir. Il me reconnut et me héla.
— Eh ! C’est vous qui avez volé Napoléon ? Vous avez vu ce qui est arrivé à la voiture ?
Je ne m’arrêtai pas pour répondre. Je retournai à la taverne, payai le palefrenier et, sans même attendre la monnaie, me mis en selle. Il s’était écoulé près de quinze minutes depuis que j’avais quitté la grange. J’éperonnai mon cheval pour le lancer au galop et profitai de ma première véritable occasion de réfléchir.
Mon seul espoir résidait dans l’incapacité de Iouda à voyager de jour. Il était parti environ trois heures avant l’aube. Cela ne pouvait pas être assez pour parvenir à Moscou. J’avais huit heures de jour – un peu moins maintenant – pour le rattraper et rejoindre Domnikiia avant qu’il puisse se réveiller dans les ténèbres et l’atteindre. Le trajet qui m’attendait était d’environ quatre-vingts verstes, sur des routes verglacées et traîtresses. C’était réalisable, mais difficile. Je n’y parviendrais pas du tout si je tuais mon cheval. Je tirai les
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