Douze
serait pas d’une grande assistance, et pouvait être une aide précieuse à l’ennemi pour lui révéler notre présence. Par chance, il ne fallut pas longtemps – bien moins, en fait, que je ne m’y étais attendu – pour que nous apercevions les premières lueurs des feux de camp français. Les rumeurs faisant état de leur avancée étaient donc justifiées. Nous mîmes pied à terre et j’observai le camp, établi environ une demi-verste plus loin, à travers ma lunette.
— Combien en voyez-vous ? demanda Iouda.
— Il n’y en a qu’une dizaine encore éveillés, mais il y a plusieurs tentes, répondis-je. Il peut y avoir plus d’une centaine d’hommes en tout.
— Trop nombreux, à mon avis, déclara Iouda pensivement, bien qu’il me semble qu’il énonçait une évidence, jusqu’à ce qu’il poursuive par : du moins pour la première attaque de notre campagne. Probablement mieux si nous commençons par attraper quelques traînards.
Je trouvai cela quelque peu inutile. Si, d’un côté, une attaque sur un camp d’une centaine environ de soldats était impossible, s’en prendre à des soldats isolés, seuls ou par deux, n’aurait aucune incidence notable. Cela présentait en outre des problèmes tactiques.
— Trouver des soldats isolés ne sera peut-être pas si simple, lui dis-je. Ils vont tous rester à proximité de leur…
Je fus interrompu par une commande abrupte en français, « Debout ! ». Regardant par-dessus mon épaule, je vis tout d’abord une baïonnette, puis le fusil auquel elle était attachée et, enfin, le fantassin qui tenait l’arme. En tout, ils étaient six, encerclant notre groupe de quatre.
— Posez vos épées et vos pistolets ! poursuivit l’officier en charge.
Notre handicap n’était pas insurmontable, mais notre survie (et, plus exactement, ma survie) semblait peu probable si nous résistions.
— Faites ce qu’il demande, dis-je calmement aux trois Opritchniki sous mes ordres.
Je crois que c’était bien la première fois que je tentais de leur donner un ordre direct. En termes d’ordres, ce ne fut pas vraiment un succès. Tandis que je commençais à défaire la boucle de mon fourreau, Matfeï se jeta sur le Français le plus proche. Deux fusils tirèrent sur lui. Je ne pus voir s’ils le manquèrent totalement ou s’ils ne causèrent qu’une blessure mineure, mais il ne flancha pas et eut tôt fait de mettre son homme à terre.
Prenant exemple sur Matfeï, Iouda, Foma et moi attaquâmes aussi. Le fantassin qui me couvrait fut distrait et je n’eus aucun mal à dégager sa baïonnette sur le côté et à m’approcher suffisamment pour que mon épée permette une mort rapide. Je me tournai vers l’homme le plus proche. Il avait déjà fait feu avec son mousquet et aucune baïonnette n’y était fixée, il serait donc une victime facile.
Alors que je me tournai, la crosse de son fusil entra lourdement en contact avec ma tempe. Je m’affalai au sol. La dernière image que j’eus avant de perdre conscience était le fantassin français levant de nouveau son fusil pour porter un dernier coup fatal à mon crâne et, derrière lui, Iouda, son bras levé prêt à attaquer et sa bouche grande ouverte dans un cri silencieux.
Chapitre 4
Lorsque je revins à moi, il faisait jour. J’étais seul. Je tentai de me rappeler ce qui s’était passé, mais tout ce qui m’apparaissait était des images d’une extrême sauvagerie. Je n’avais vu que quelques secondes du combat avant d’être assommé bien que, peut-être, j’aie pu être à demi conscient pendant que j’étais à terre. Les souvenirs qui refluaient dans mon esprit n’étaient pas ceux d’un combat ordinaire mais de quelque chose qui me paraissait (et « paraissait » est le mot juste, car je ne pouvais pas me rappeler avoir effectivement vu quoi que ce soit) similaire à une meute de loups déchirant sa proie, plutôt qu’à des soldats venant à bout d’autres soldats. Et du sang aussi – je me remémorais beaucoup de sang.
Je m’assis et, sentant une douleur intense dans mon crâne, me rallongeai. Je portai la main à ma tempe, où j’avais été frappé. Elle était contusionnée, mais ne saignait pas et n’était pas trop sensible au contact. C’était la douleur dans mon crâne qui était le vrai problème. Je me redressai de nouveau, cette fois plus doucement, et je regardai autour de moi.
J’avais raison à propos du sang. L’herbe où nous avions combattu
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