Douze
informés des nouvelles dispositions, il s’en fut sans un mot de plus.
Je voyais que Vadim restait silencieux, furieux, mais aucune parole n’aurait changé quoi que ce soit : il demeura donc pratique.
— Ils aiment peut-être voyager de nuit, mais cela ne signifie pas que nous devons en faire autant. Nous allons rester ici à Moscou cette nuit et nous partirons demain à l’aube. Deux jours et demi sont largement suffisants pour nous permettre d’arriver à Gzatsk.
— Au fait, j’ai fait une recherche sur Tougarine Zmiéïévitch, annonça Max tandis que nous trottions sur la route de Gzatsk.
— Et ? demandai-je.
— Il s’avère qu’il était le méchant, poursuivit Max.
— Je présume donc qu’il a eu ce qu’il méritait, dit Vadim.
— Oh que oui, répondit Max. (Il se tourna vers moi.) De la main d’un Aliocha, Aliocha Popovitch. Abattu d’une flèche.
On m’appelait Aliocha encore moins souvent que Liocha, mais je n’allais pas ergoter.
—Je suppose donc que notre Zmiéïévitch est en quelque sorte un de ses descendants, dit Vadim en dissimulant un sourire narquois.
— Je ne pense pas, répliqua Dimitri avec une note de mépris. C’est une pure coïncidence.
— C’est tout à fait par hasard qu’il ait même un nom russe, dit Max, compte tenu du fait qu’il n’est pas russe.
Dimitri ne mordit pas à l’hameçon, même s’il était clair pour nous tous que le chef n’était, en vérité, pas davantage nommé Zmiéïévitch que ses disciples ne l’étaient d’après les apôtres.
— J’espère juste que notre Liocha ne va pas le tuer. Ce n’est pas une façon de traiter un allié, rit Vadim.
— Remarquez, continua Max, Tougarine Zmiéïévitch était porté sur un banc d’or par douze chevaliers, d’après la légende. Douze, Dimitri.
Il aurait été préférable que ce soit Vadim l’ami de Zmiéïévitch. Il n’était pas drôle de taquiner Dimitri. Il chevauchait les lèvres scellées tandis que nous poursuivions notre route.
— Je suppose que les Opritchniki ont simplement laissé le banc dehors, l’autre nuit, dis-je. Il aurait été difficile de lui faire monter l’escalier.
Max eut un sourire et Vadim s’étrangla de rire.
— C’est simplement une coïncidence ! lâcha Dimitri hargneusement avant d’éperonner son cheval de manière à poursuivre son trajet loin de nous autres.
Je ne pense pas que les autres le remarquèrent vraiment, mais pour moi c’était une raison de plus de s’inquiéter à son sujet – une raison de plus qui nous ramenait à ses « amis », les Opritchniki.
Deux jours et demi se révélèrent non seulement suffisants pour nous rendre à Gzatsk, mais également presque assez pour que Bonaparte y parvienne aussi. Lorsque nous arrivâmes à l’auberge, peu de temps après 21 heures le 19 au soir, nous nous étions déjà frayé un chemin à travers une foule de gens fuyant la ville. Les rumeurs disaient que les Français allaient entamer l’occupation le jour suivant.
Cette fois, les Opritchniki respectèrent notre rendez-vous. Ils ne semblaient pas d’humeur à échanger des plaisanteries et souhaitaient seulement s’atteler à la tâche. Nous nous scindâmes en groupes suivant la distribution que nous avions déterminée à Moscou. Je fis mes adieux à Vadim, Dimitri et Max beaucoup plus rapidement que la première fois. Je guidai mon équipe, constituée de Iouda, Foma et Matfeï, hors de la ville en direction du sud, avant de tourner vers l’ouest vers le flanc droit des troupes françaises en marche.
Le trajet s’effectua essentiellement en silence. Toutes les tentatives que je fis auprès de Foma et Matfeï pour lancer la conversation ne furent même pas rejetées, mais simplement ignorées. Iouda était légèrement plus enclin à parler, mais uniquement sur des sujets directement liés à notre mission. C’était, je supposai, sage de leur part. Nous progressions à travers l’obscurité dans une direction qui, nous le savions, nous conduirait aux lignes ennemies, mais nous n’avions pas d’idée précise sur l’emplacement exact de ces lignes. Il était préférable de rester silencieux et de ne pas trahir notre présence par un bavardage inutile. Nous chevauchâmes plusieurs heures, cherchant des yeux et prêtant l’oreille au moindre indice de la présence des armées de Bonaparte.
Peu de temps après minuit, le croissant de lune s’éleva dans le ciel derrière nous. La lumière ne nous
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